Le prix Nobel de la paix 2010 attribué à une chaise vide
 
Liu Xiao Bo, rédacteur de l’un des plus importants  textes politiques chinois contemporains, lauréat du prix Nobel de la  paix 2010, n’a pas reçu l’autorisation de se rendre à Oslo pour y  recevoir son prix. Le 
gouvernement a tellement peur de ce frêle et  fréquent prisonnier politique qu’il lui a interdit tout déplacement  grâce à une effrayante condamnation à onze ans de prison pour  « incitation à la subversion du pouvoir de l’Etat », c’est-à-dire pour  usage de la liberté d’expression.
La « Charte 08 » du 10 décembre 2008 appelle les  citoyens à réclamer pacifiquement la transition démocratique. Elle dit  « réaffirmer les valeurs universelles de base » : liberté, droits de  l’Homme, égalité, « principe républicain » qui « s’approche du concept  politique traditionnel chinois qui estime que tous sont égaux sous le  ciel », démocratie et respect des minorités nationales. Elle demande une  nouvelle Constitution garantissant la séparation des pouvoirs,  l’indépendance des magistrats, des élections libres, le respect des  droits de l’Homme et une République fédérale.
Voilà pourquoi Liu Xiao Bo a été enlevé par des  policiers le 8 décembre 2008, « arrêté » le 23 juin 2009 et condamné, le  25 décembre 2009, à onze ans de prison. Mais en douze jours, malgré les  dizaines de milliers de policiers de l’Internet, la Charte avait déjà  recueilli en Chine plus de douze mille signatures, y compris de membres  du Parti communiste et, dès le 11 décembre 2008, mille deux cents  intellectuels chinois demandaient la libération de Liu. La diffusion de  la Charte 08 continue, et nul ne peut plus en escamoter la portée. Mais  la question ne sera pas posée à Liu directement. La Chine ne veut pas de  prix Nobel dissident.
Pourtant, le Premier ministre, lui-même, Wen Jia Bao,  préconisait sur CNN, le 3 octobre 2010, l’abandon du rôle dirigeant du  Parti communiste, la liberté de parole et la démocratisation du régime.  Le fait que le numéro deux du régime affiche une telle position et qu’il  soit censuré par la presse gouvernementale révèle les contradictions  dans lesquelles se débat le pouvoir. L’ouverture économique,  scientifique, universitaire du pays, son insertion dans les échanges  mondiaux fissurent le couvercle posé sur l’expression indépendante de la  société chinoise. En janvier 2010, Hu Ji Wei, ancien dirigeant du  Quotidien du peuple, Li Pu, ancien numéro deux de l’agence de presse  « Chine nouvelle » 
et He Fang, membre de l’Académie des sciences  sociales, ont rédigé une lettre ouverte aux dirigeants du parti et de  l’Etat, estimant que le juge qui a condamné Liu violait la Constitution  et « ternissait sérieusement l’image du pays et du Parti »…
Qualifier Liu de « criminel » n’est qu’une gesticulation  qui ne trompe personne, y compris en Chine. Liu Xiao Bo lui-même  confiait, il y a peu : « Cela va progresser très lentement, mais les  demandes de liberté, de la part des gens ordinaires mais aussi des  membres du Parti, ne seront pas faciles à contenir. »
Ce vendredi 10 décembre, anniversaire de la proclamation  de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, la LDH applaudit  la chaise vide que Liu Xiao Bo occupe d’un silence assourdissant.