« EAU SECOURS! » : Un bateau d’eau pour les riches, un dé à coudre pour les pauvres qui meurent de soif !
Suite au départ du premier bateau qui va effectuer une livraison d'eau de la Provence à Barcelone et après avoir consulté des experts et des associations nationales, l’association Ecoforum tient à faire partager quelques interrogations graves :
A Marseille par exemple, en 1934, nous disposions pour satisfaire nos besoins vitaux de 1 litre d’eau potable par personne et par jour. Aujourd’hui ces besoins ont été revus à la hausse… et représentent 150 litres d’eau par personne et par jour. Dans ce monde de surconsommation qui nous invite à être énergivores, sommes-nous devenus « hydrovores », en prime aveugles, et inconscients de la gravité du problème mondial de l’eau car chaque jour 20 à 30.000 personnes meurent à cause du manque d’eau saine, dont un enfant toutes les 8 secondes ?
La livraison d’eau potable par bateau, effectuée par la Société des Eaux de Marseille, opération intitulée « Marseille solidaire de Barcelone », pose des questions sur la manière dont nous, pays riches, gérons la ressource eau et il est de notre devoir de lancer sur la place publique une réflexion sur ce sujet. Au total, Barcelone sera approvisionnée par six navires, qui effectueront 63 voyages par mois pour livrer mensuellement 1 660 000 m3 d’eau potable. Ces navires consomment en 24 heures de traversée entre 30 et 50 tonnes de carburant
Peut-on parler de solidarité, quand en même temps, dans cette province d’Espagne, de nombreux terrains de golf, des piscines en bordure de mer, des espaces verts pour les touristes gaspillent l’eau sans compter ?
Il est possible de faire des économies… Par exemple, les 6 principaux terrains de golfs autour de Barcelone totalisent 235 trous ce qui représente une consommation mensuelle minimum de 355 000 m3.
Un autre moyen efficace existe : l’installation dans chaque foyer d’une chasse d’eau économe permettrait d’économiser 1 600 000 m3 d’eau par mois, soit l’équivalent de la quantité d’eau livrée à Barcelone chaque mois …
Mais il ne faut pas se tromper d’interlocuteur : si la contribution des usagers est souhaitable, il n’est pas de leur ressort exclusif d’économiser une eau potable qu’ils payent par ailleurs assez cher.
Concernant la répartition de la consommation en eau, les usagers domestiques en utilisent moins de 8 %, les agriculteurs 80 % (et trop souvent ils polluent la ressource par une agriculture intensive), le reste de la consommation revenant à l’industrie.
Dans le cas qui nous intéresse, c’est l’agriculture et l’industrie touristique qui gaspillent l’eau potable de la nappe locale à leur profit. Il nous paraît choquant et condamnable que l’eau marseillaise importée puisse être facturée pour des usages domestiques, car l’eau qui va partir de Marseille à 1 euro le m3, arrivera à Barcelone, taxes et transport compris, à 9 euros le m3. (Les marseillais, quant à eux, payent l’eau de leur robinet 3 euros le m3.)
Le gaspillage présente également une autre caractéristique : il faut compter les 25% de déperdition d’eau liée à la vétusté et au manque d’entretien des réseaux d’adduction barcelonais
L’Europe, l’Amérique du Nord et le Japon ont une consommation de 150 à 600 litres/personne/jour contre 10 à 40 litres en Afrique, sachant que la quantité vitale d’eau potable est de 30 à 50 litres/jour. Peut-on comparer le besoin en eau d’un individu pour vivre et le besoin en eau de quelqu’un qui va l’utiliser pour ses loisirs, sans compter et sans penser au gaspillage ?
Nous voyons donc que nous avons une marge de manœuvre très large pour envisager et appliquer la sobriété.
Notre région traverse une période de sécheresse, mais grâce aux réserves offertes par le canal de Marseille, nous ne sommes pas en pénurie d’eau, néanmoins par souci d’économie nous pourrions dès aujourd’hui limiter notre consommation tout en gardant la même qualité de vie. Barcelone en 5 ans a déjà réduit sa consommation par habitant de 210 à 190 litres/jour. Actuellement, la municipalité espère atteindre un jour 110 litres/jour et par habitant.
Aujourd’hui, en Provence, sans aucune solidarité ni vision politique à long terme, on se permet de détourner l’eau au profit des villes du littoral, au détriment des agriculteurs, des éleveurs et des communes de l’arrière pays.
Pour livrer l’eau à Barcelone, les bateaux vont effectuer plus de 700 voyages par an, et ce pendant plusieurs années, ce qui n’est absolument pas compatible avec l’esprit du Grenelle de l’Environnement. Comme nous venons de le démontrer, au niveau du citoyen de base, il ne serait pas difficile de faire des économies, et les grands consommateurs (touristiques et agricoles) pourraient être appelés à un peu plus de raison et de mesure.
Car en Espagne également, on a sacrifié l’arrière pays au bénéfice du développement de la zone côtière en faisant des barrages et en détournant l’eau. Voila donc les conséquences d’un aménagement du territoire non contrôlé et non réfléchi, lié à la pression touristique et foncière, sans aucune gestion sérieuse des réserves. Mais n’oublions pas que tout le pourtour méditerranéen fonctionne sur le même schéma.
La désalinisation de l’eau de mer, présentée comme la solution miracle face à la pénurie d’eau, implique 2 inconvénients majeurs : désaliniser provoque le rejet dans la mer de saumures qui à terme acidifieront l’eau et dont les effets sur l’écosystème sont à ce jour inconnus. Sans compter l’énergie nécessaire pour ce procédé. Ne serait-il donc pas plus judicieux de respecter le cycle de l’eau et de mieux gérer la ressource en qualité et en quantité ?
L’eau est un bien commun, et pour nous, ces livraisons représentent un danger et une porte ouverte à la marchandisation de l’eau. Les sociétés des eaux ne sont pas propriétaires de la ressource, leur rôle est essentiellement de l’exploiter et de la distribuer. De quel droit la Société des Eaux de Marseille commercialise-t-elle l’eau ?
Au-delà de notre opposition éthique, il n’y a aucune raison que cette vente bénéficie aux sociétés privées. Ces bénéfices ne devraient-ils pas revenir, sous une forme ou une autre, aux contribuables de l’agglomération ?
Mais même sur notre continent européen, la pénurie existe : près de 40 enfants meurent chaque jour de problèmes liés à l’eau, selon l’OMS. C’est pourquoi nous militons pour un minimum gratuit de 20 litres/jour par personne en France.
Enfin, pour finir je citerais "Celui qui a la main sur le robinet est celui qui a le pouvoir d’un point de vue géopolitique". Des solutions de « sagesse », qui tiendraient compte de la mortalité due à la pénurie d’eau, sont possibles. Il suffirait que l’homme décide de traiter cette ressource comme un « bien commun » en garantissant le minimum vital à tous les êtres humains, cela doit passer par une sobriété et une meilleure gestion des ressources d’eau. Nous pourrions remplacer le pétrole, mais l’eau est irremplaçable ! Alors les associations signataires invitent l’Espagne à plus de modération et de solidarité !
Nous préfèrerions que le prochain bateau parte pour sauver les personnes qui meurent de soif dans l’indifférence mondiale !
Eau secours !
Victor Hugo ESPINOSA
Président d'Ecoforum
06 73 03 98 84
vhe13@free.fr
www.ecoforum.fr
Ingénieur, Doctorat en risques majeurs,
Coordinateur du réseau Ecoforum qui regroupe plus de 150 associations.
Ce communiqué de presse a reçu le soutien des associations suivantes :
· Association pour le Contrat Mondial de l'Eau (ACME) - Contact : Jean Luc TOULY, 06.80.60.03.01.
· Coordination nationale des Associations de Consommateurs d'Eau (CACE) - Contact : Jean Louis LINOSSIER 04 78 83 47 73