Sans un soutien massif et rapide, Politis va disparaître. Pour l’éviter, il nous faut rassembler 500 000 euros avant fin 2021.
Chère lectrice, cher lecteur,
Vous le savez, depuis trente-trois ans, la vie de notre journal n’est pas un long fleuve tranquille. Comme beaucoup de titres de presse, notamment imprimés, Politis connaît des difficultés financières structurelles. Il est aujourd’hui indispensable pour nous d’opérer des changements radicaux dans notre modèle économique, d’accroître le nombre de nos abonné·es et de gagner une plus grande visibilité dans l’espace médiatique. Nous travaillons ardemment à réinventer Politis. Mais, pour cela, nous avons besoin de temps et d’argent, et nous en manquons.
Nous n’avons pas choisi la facilité : produire chaque semaine un journal quasiment sans publicité, sans le soutien d’un actionnaire milliardaire renflouant les caisses à volonté – en contrepartie de violents plans sociaux ou d’ingérences éditoriales. C’est le prix de notre indépendance. Malgré des hauts et des bas, Politis a tenu bon. Mais l’année 2021 a été marquée par une diminution du nombre d’abonné·es qui nous met aujourd’hui en péril. En juin, nous avons dû nous résoudre à abandonner provisoirement la diffusion en kiosques, devenue inaccessible pour des médias à l’économie sobre comme le nôtre. Nous sommes actuellement en alerte avec notre imprimeur, car le prix du papier flambe et la pénurie guette. L’annulation de nombreux événements, qui permettent de faire connaître le journal et de recruter des abonné·es, a également eu un impact.
Face à ces difficultés, nous avons fait évoluer nos offres d’abonnement et nous avons expérimenté de nouvelles méthodes pour atteindre un nouveau lectorat. Nous avons aussi lancé d’importants travaux, dont vous verrez bientôt les résultats, pour transformer notre site web et notre hebdo. Cette mobilisation commence à porter ses fruits car, pour la première fois depuis des années, le nombre d’abonnements repart à la hausse. Mais encore trop timidement pour que nous puissions faire face durablement.
Tout cela, c’est notre cuisine interne, celle dont on ne vous parle pas tous les jours. Si l’on met de côté ce saut d’obstacles permanent, reste l’envie intacte de poursuivre notre mission d’informer et la conviction que le regard particulier que Politis porte sur le monde manquerait vraiment s’il venait à disparaître. Alors que tant de médias contribuent à « engranger l’insignifiant dans la mémoire des résignés », pour reprendre l’expression de Raoul Vaneigem, nous sommes depuis plus de trente ans fidèles à notre promesse initiale : être les observateurs attentifs de la complexité du monde et de ses lames de fond. Décrypter, expliquer, analyser, en partant des faits, toujours, et de la réalité de ce que nous voyons, pour essayer de produire du sens dans ce monde de confusion et de désordre établi. Offrir à chacun·e des outils pour sa propre émancipation intellectuelle. Sans prétention à la vérité, inviter nos lecteurs et nos lectrices à cheminer à nos côtés, pour s’orienter dans les débats qui traversent la société.
Ce qui définit Politis, c’est aussi d’assumer un engagement et un parti pris. Une humanité du regard, d’abord, qui cherche toujours à prendre en compte le point de vue des dominé·es, des exploité·es, des exclu·es. Notre journal est en première ligne pour documenter et décrire les conditions de vie et de travail des laissé·es-pour-compte du capitalisme, des exilé·es et déraciné·es, travailleurs et travailleuses pauvres, gilets jaunes, exclu·es du « confort occidental », victimes de la mondialisation au Sud et au Nord. Nous avons la conviction qu’un journalisme honnête ne peut rester indifférent et doit prendre ses responsabilités face aux menaces écologiques, aux injustices qui minent notre contrat social, à la mise en péril de nos libertés publiques et du bon fonctionnement de notre démocratie.
Cette ambition, nous la vivons avec beaucoup d’humilité. Depuis trente ans, nous voyons les espoirs mais aussi l’épuisement de celles et ceux qui désespèrent de transformer en profondeur notre société ou qui sont usé·es par les batailles défensives incessantes pour les services publics, les retraites, les droits des travailleurs et des travailleuses, la préservation de la planète, le respect des minorités. Ces pesanteurs nous accablent aussi. Comment rendre compte avec lucidité des défaites, ou des luttes victorieuses qui apparaissent parfois si dérisoires ? Comment parler de perspectives politiques, d’union au sein de la gauche et de l’écologie quand tout semble se déliter ? Comment concilier le besoin de repères et de certitudes dans un monde mouvant et l’aversion évidente pour les arguments d’autorité et les postures de surplomb ? Autant de questions qui nous taraudent chaque semaine.
Dans les batailles culturelles à mener, la force d’un média comme le nôtre est de permettre l’expression d’autres imaginaires, de montrer d’autres possibles, portés par de nouvelles voix, turbulentes ou sages, radicales ou réformistes, écologistes, féministes, intellectuelles, militantes, artistiques. Permettre ce déplacement du regard qui va nourrir et questionner, créer de l’inconfort, de la remise en cause, aider à définir un autre rapport au monde. Nous nous y attachons chaque semaine. Bien sûr, nous sommes conscient·es que nous pouvons faire mieux. Que le pas de côté que nous faisons n’est pas toujours suffisant. Que le décentrage auquel nous invitons tombe parfois à plat, faute de perspectives. Faute d’émotion aussi. Car la lecture d’un journal n’est pas qu’une affaire d’intellect – ce qui nous meut est aussi ce qui nous émeut.
Nous sommes convaincu·es, aussi, que nos sociétés ne pourront pas bifurquer sans conflits. Des conflits qu’il faut assumer, construire et étayer. Ce devrait être le rôle des médias : poser les termes des désaccords, expliquer les choix civilisationnels qu’ils sous-tendent, pour sortir d’un débat politique indigent et indécent où le rejet de l’autre et l’instrumentalisation des angoisses existentielles tiennent lieu de projet. Nous voulons continuer à croire que le dissensus peut être synonyme de vitalité et de mouvement, et non pas de blocages et d’affrontements stériles. Cette ambition résonne avec davantage d’acuité en cette période de campagne présidentielle. C’est depuis des décennies l’ADN de notre journal, qui a toujours été au cœur des débats de la gauche, de l’écologie et des mouvements sociaux et citoyens.
Ce travail est difficile mais tellement nécessaire. C’est pourquoi nous avons besoin de votre soutien pour passer ce cap. Tout de suite et de manière forte. La survie de notre journal en dépend. Nous n’avons plus que quelques mois de trésorerie. Nous avons besoin de 500 000 euros pour financer les projets qui nous permettront de relancer le journal et de regagner les deux milliers d’abonnés qui nous manquent. La barre est haute, nous le savons. C’est donc avec beaucoup de gravité et de responsabilité que nous lançons cet appel. Politis ne peut pas mourir. Aidez-nous. Soutenez-nous. Avec vous, nous pouvons sauver Politis.
Agnès Rousseaux, directrice