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Razzia sur les terres des grandes villes d’Afrique

Extraits de l'article du Monde Diplomatique , par Olivier Piot, 23 février 2023 

De Johannesburg à Dakar, l’Afrique est en proie à une frénésie immobilière. Si la question de l’« accaparement des terres » mobilise médias et associations, les transactions désordonnées sur le foncier périurbain des grandes métropoles suscitent nettement moins de débats. Entre bidonvilles et zones résidentielles sécurisées, la ville africaine de demain reste pourtant le miroir grossissant des inégalités sociales.

Depuis le milieu des années 1990, sous l’expression anglo-saxonne de Land grabbing, l’« accaparement des terres » agricoles, dans le monde et en Afrique, a su progressivement mobiliser les organisations non gouvernementales (ONG) et les médias (1). Toutefois, une autre razzia est en marche, dans l’angle mort des études statistiques : les transactions sur le foncier périurbain des grandes métropoles d’Afrique. Stimulés par l’explosion attendue de la démographie des villes africaines — 950 millions d’habitants en plus d’ici à 2050 (2) —, de nombreux acteurs, locaux et étrangers, investissent et spéculent sur l’envolée des prix des parcelles de terrain situées en périphérie des grandes villes. Il faut loger les classes moyennes en plein essor et répondre à l’appétit des nouveaux riches. De Lagos (Nigeria) à Dar es-Salaam (Tanzanie) en passant par Johannesburg (Afrique du Sud) et Le Caire (Égypte), de vastes zones sont désormais bornées ; les immeubles y poussent comme des champignons après la pluie, souvent sans plan d’urbanisme. Entre bidonvilles et zones résidentielles sécurisées, la ville africaine de demain reste le miroir grossissant des inégalités sociales.

À Dakar, capitale du Sénégal, ces pratiques sont à l’œuvre depuis déjà plus d’une dizaine d’années. Avec notamment la presqu’île de Dakar, défigurée par des projets immobiliers anarchiques en bord de mer. Au point qu’un collectif digital baptisé « Save Dakar » s’est créé pour dénoncer ces constructions chaotiques. Mais l’expansion foncière sévit aussi sur trois axes d’extension en zones périurbaines : à l’est, le long de l’autoroute A1 qui relie le nouvel aéroport en direction de Thiès, situé à une cinquantaine de kilomètres de Dakar ; au sud, vers la commune de Mbour, au-delà des infrastructures balnéaires de Saly ; au nord enfin, sur la route qui mène à Touba et Saint Louis, le long du littoral. « Sur ces trois axes, on assiste depuis le début des années 2000 à une très forte effervescence foncière, souligne Momath Talla Ndao, géographe et urbaniste, spécialisé en aménagement du territoire et auteur d’une thèse sur la « résilience urbaine » au Sénégal. Ces transactions sont le fait de personnes haut placées et fortunées qui placent dans ces zones vierges en attendant que les prix flambent ou que des opportunités de revente se présentent, par exemple lors de plans publics d’aménagement du territoire ».

 

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« D’ici à 2050, l’Afrique va devoir loger quelques 800 millions d’urbains supplémentaires, soit la population cumulée des États-Unis, du Mexique et de toute l’Union européenne !, tient à rappeler le géographe Alain Durant-Lasserve. Cette pression se traduit partout par une hausse du prix du foncier en périurbain et des acquisitions très nombreuses portées principalement par les élites locales, mais aussi les classes moyennes, avec le plus souvent des visées spéculatives ». Mouvement qui côtoie l’extension de bidonvilles, première forme d’urbanisation à grande échelle en Afrique, dont certains sont devenus gigantesques. Terrains et parcelles achetés à bas prix, sans titre de propriété ni inscription au cadastre ; mise en veille de cet « investissement silencieux » pour ensuite viabiliser le terrain et le faire enregistrer afin d’obtenir un titre en bonne et due forme ; revente avec de juteux profits (entre cinq et dix fois la mise initiale), soit à un promoteur (local ou étranger), soit à des chaînes (hôtels, centres commerciaux) ou des entreprises, soit encore à des particuliers sous forme de parcelles constructibles.

Sur tous ces mécanismes, le chercheur a produit une étude très fouillée sur le système d’approvisionnement en terres autour de l’agglomération malienne de Bamako (5), dans le cercle de Kati qui compte 37 communes autour de la capitale. « En ayant épluché 10 % seulement des archives disponibles à la préfecture pour cette zone, j’ai évalué que les transactions foncières de ces dernières années ont concerné au total quelques 750 kilomètres carrés de terres dont certaines ont été vendues puis revendues jusqu’à quatre fois ! ». Selon le chercheur, ces acquisitions participent « d’une privatisation par les élites urbaines des zones en périphérie des villes avec une forte corruption, phénomène que la Banque mondiale elle-même a fini par reconnaître. Avec ces accaparements pratiqués à grande échelle, nous risquons de passer de cités avec des taudis à de véritables villes de camps… ». Alors que tous ces terrains vierges auraient pu être l’occasion de mises en œuvre de politiques publiques de logement favorables aux plus démunis (des bidonvilles notamment), les voilà d’ores et déjà livrés aux accaparements privés et à la spéculation. Autant dire que les millions de familles les plus pauvres du continent ne sont pas près d’avoir accès à un logement correct.

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