Tribune écrite par Anne Savinel-Barras, Agnès Callamard
Quand les dysfonctionnements administratifs sont-ils devenus un système, les « bugs » informatiques la norme, et la précarisation des travailleurs étrangers, un objectif politique pour la France ?
En cette veille d'échéances politiques importantes, tant au niveau local que national, il est important de dénoncer la considérable aggravation ces dernières années de la situation de ces milliers d’hommes et femmes qui font vivre des secteurs essentiels de la société (restauration, accompagnement à domicile, nettoyage, chantiers publics, etc.).
Nombre d’entre elles, en situation régulière et sous contrat en France depuis parfois plusieurs années, voire plusieurs décennies, peuvent basculer du jour au lendemain dans une situation d’irrégularité avec toutes les conséquences très concrètes : perte de logement et des moyens de subsistance, obligation de partir... Il ne s’agit pas de simples erreurs administratives, mais bien d’un système étatique structuré, qui empêche des hommes et des femmes, généralement racisées, de pouvoir accéder à une situation stable, envisager une carrière et une perspective de vie durable en France.
Cette situation les enferme en outre dans un cycle d’exploitation : tâches pénibles et dangereuses, fiches de poste non respectées, dépassements des horaires prévus… Des violations du droit du travail connues depuis longtemps, et qui impactent de manière disproportionnée ces travailleurs étrangers dans des situations particulièrement précaires et de plus en plus invivables. Comment se défendre face aux abus ou espérer trouver un autre travail, quand la régularité de son séjour en France dépend principalement de son employeur ? Quand on travaille sept jours sur sept, en cumulant trois emplois et en préparant continuellement son renouvellement de papiers ?
« Ils savent que nous, on n’a pas le choix, on ne peut pas refuser. Et quand tu sors de là, tu es cassée », résume une des personnes que nous avons rencontrées, qui enchaîne les CDD dans une association d’aide à domicile, avec les missions les plus difficiles. La situation est terriblement contradictoire. D’une part, le besoin reconnu de travailleurs et, de l’autre, des politiques de plus en plus kafkaïennes, qui les empêchent d’accéder à la stabilité.