Publié le 23 janvier 2025 - Mis à jour le 26 mai 2025 par FNE
La proposition de loi dite “Loi Duplomb”, du nom du sénateur qui en est rapporteur et premier signataire, réellement intitulée « Lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », a été votée au Sénat le 28 janvier. Elle est maintenant examinée par l’Assemblée nationale. Présentée comme complémentaire à la loi d’orientation agricole, elle liste un ensemble de régressions environnementales qui mettent en péril la santé humaine et celle des écosystèmes au bénéfice d’une agriculture industrielle à bout de souffle. Le soutien du gouvernement à ce texte est un très mauvais signal pour la transition agroécologique. FNE a réalisé une analyse approfondie de ce texte et alerte sur ses impacts désastreux.
L’actualité de la proposition de la loi «visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur» ou «Loi Duplomb»
La semaine du 5 mai, la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné le texte. Elle était saisie sur le fond sur les articles 5 (stockage d’eau et zones humides) et 6 (OFB), et pour avis sur les autres articles. Les député.es ont largement réorienté le texte, en supprimant une grande partie des dispositions mettant en jeu la santé publique et des écosystèmes (comme le retour des néonicotinoïdes, la mise sous tutelle de l’ANSES, le relèvement des seuils des ferme-usines et l’affaiblissement de la protection des zones humides,…), et votant plusieurs articles additionnels allant vers une meilleure protection de la ressource en eau et une accélération efficace des contentieux environnementaux.
La semaine du 12 mai, c’était au tour de la Commission des affaires économiques d’examiner le texte. En miroir de la première commission, elle était saisie au fond sur les articles 1, 2, 3, 4, 7 et 8, et pour avis sur les 5 et 6. Les député.es de la Commission des affaires économiques sont largement revenus à l’esprit initial du texte, en réintroduisant l’autorisation de l’acétamipride, néonicotinoïde tueur d’abeilles, en facilitant les élevages intensifs et limitant la consultation publique, … des cadeaux faits à l’agriculture industrielle, sans prise en compte des connaissances scientifiques qui témoignent des risques que font peser ces dispositions sur la santé des citoyen·nes. Seul accord entre les deux commissions : la mise sous tutelle de l’ANSES a été supprimée des deux côtés.
Le texte qui sera discuté en séance reste donc largement orienté en soutien à l’agriculture industrielle, quoi qu’il en coûte à la santé des agriculteur·ices, des citoyen·nes, de l’environnement, et au futur de l’agriculture. FNE appelle donc les député·es à rejeter l’ensemble de la proposition de loi Duplomb.
Pesticides : des reculs majeurs
Les articles 1 et 2 de la proposition visent notamment à :
- Supprimer l’obligation de séparation entre la vente et le conseil pour les produits phytopharmaceutiques, en permettant aux vendeurs de pesticides de conseiller les acheteurs
- Supprimer l’obligation du Certificat d’économie de pesticides lorsque les produits ont été achetés à l’étranger
- Réautoriser par dérogation la mise sur le marché de certaines substances néonicotinoïdes
- Créer un conseil d’orientation pour la protection des cultures qui pourra prioriser le travail sur les autorisations de mise sur le marché de l’ANSES en fonction des attentes des filières (et non des priorités de santé publique)
Notre analyse
La France est déjà le 2ᵉ plus gros consommateur de pesticides et le second pays qui autorise le plus de pesticides en Europe. La proposition de loi, qui reprend des demandes portées par la FNSEA, favoriserait leur utilisation alors même qu’ils présentent des risques avérés pour la santé humaine, sont identifiés comme une cause majeure de l’effondrement de la biodiversité et du déclin des oiseaux, de la pollution des eaux et sols. Par exemple, 17 millions de français ont consommé au moins une fois de l’eau non conforme à la réglementation sur les pesticides en 2023.
Les néonicotinoïdes avaient été interdits en 2018 car ils sont particulièrement toxiques pour les abeilles et les autres insectes pollinisateurs, pourtant essentiels à l’agriculture. L’injonction à produire à tout prix se fait au détriment de notre santé, de la biodiversité, de la santé des sols, de la qualité de l’air et de l’eau, et de la capacité à produire des générations futures.
Par contraste, des alternatives agroécologiques comme l’agriculture biologique ont montré qu’il est possible de produire sans pesticides, en respectant la santé des sols, la qualité de l’air et de l’eau et en se basant sur les équilibres naturels. C’est cette transformation que nous appelons les élu·es à soutenir dans la loi. Notre santé et notre environnement en dépendent.
Eau : une gestion biaisée au détriment des usages essentiels
L’article 5 promeut une politique de stockage massif de l’eau pour l’agriculture irriguée, en présumant d’intérêt général majeur les ouvrages de prélèvement et stockage d’eau agricole dans les zones affectées d’un déficit quantitatif pérenne. Ils seront aussi présumés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur, ce qui faciliterait l’obtention de dérogations sur les atteintes à la biodiversité. Supprimé en Commission, il risque de réapparaître par amendement lors de l’examen en séance.
Notre analyse
La proposition de loi Duplomb se fera au détriment du bon fonctionnement des milieux naturels, dans un contexte où plus d’un tiers de la France souffre déjà de pénuries structurelles en eau.
De plus, la surface agricole irriguée ne représente que 6,8 % de la surface agricole utile (SAU), et les productions qui en sont issues ne servent que très peu à nourrir les Français et les Françaises : 34 % sont destinées à l’exportation, et parmi ce qui reste en France, seulement 26 % est destiné à l’alimentation humaine.
Aussi, ces dispositions sont un cadeau de plus fait à quelques agriculteurs industriels, et desservent les capacités de production futures, les agriculteurs et agricultrices déjà impliquées dans une gestion plus sobre et la juste répartition de la ressource en eau. Pour la résilience de notre agriculture, la logique doit être la sobriété et l’adaptation à la ressource disponible.
Un recul dangereux pour la protection des zones humides
L’article 5 propose aussi de créer un nouveau type de zone humide, la “zone humide fortement modifiée” dans laquelle certaines installations impactant le cycle de l’eau pourraient ne pas être soumises à autorisation ou déclaration. Supprimé en Commission, il risque de réapparaître par amendement lors de l’examen en séance.
Notre analyse
Ces écosystèmes sont essentiels pour la gestion des inondations et des sécheresses, mais aussi pour la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la biodiversité. Ils sont pourtant en recul constant : 50 % de disparition depuis 1960. Cette proposition de loi modifie leur cadre de protection pour que le droit puisse facilement être contourné dans les faits et que ces zones puissent être asséchées sans conséquence.
En parallèle, la France propose une cartographie bien trop restrictive pour l’application de la Bonne Conditionnalité Agricole et Environnementale 2 (BCAE2) de la Politique Agricole Commune (sur la protection des tourbières et zones humides). Ces logiques complémentaires donnent des gages à l’agriculture industrielle et à ses syndicats et accélèrent la disparition de ces milieux et de l’agriculture paysanne (notamment élevage à l’herbe) associée.
Un texte juridiquement fragile et contraire aux engagements européens
La proposition de loi va à l’encontre des directives européennes sur l’eau et les pesticides. Elle expose la France à des sanctions coûteuses, tout en contrevenant à la Charte de l’environnement, qui reconnaît la protection de l’environnement comme un objectif constitutionnel.
Nos propositions pour une agriculture durable
France Nature Environnement appelle à un rejet de cette proposition de loi et propose des mesures pour une agriculture plus durable et juste, notamment :
- une transition vers l’agroécologie, avec la réduction effective des pesticides et une gestion de l’eau partagée, priorisant les besoins en eau potable et environnementaux ;
- une transition de l’élevage, dans une logique du moins et mieux ;
- une reconnexion entre agriculture et alimentation sur les territoires.
Les alternatives existantes ont fait leur preuve : l’agroécologie paysanne et l’agriculture biologique redéfinissent notre rapport au vivant et répondent efficacement aux enjeux de climat et de biodiversité, tout en assurant la souveraineté alimentaire. Il est temps que l’Etat et les parlementaires fassent le choix d’accompagner la transition vers une agriculture respectueuse du vivant et assurant une juste rémunération aux agriculteurs et agricultrices, plutôt que de maintenir artificiellement un modèle industriel déconnecté des territoires et des ressources, pour satisfaire la FNSEA et l’industrie agro-alimentaire.