Extraits de l'article de Reporterre
Les industriels du nucléaire espèrent sauver leur filière avec un nouveau concept, les SMR, des réacteurs de petite taille. En France, EDF vante la puissance de son modèle. Pourtant, plusieurs études pointent le gouffre financier et l’aberration écologique que constitue cette technologie.
Le chantier de l’EPR de Flamanville accumule retards et surcoûts, le projet de réacteur de quatrième génération Astrid est suspendu ? Peu importe, « en avant le nucléaire » ! C’est ainsi qu’EDF et ses partenaires ont sobrement baptisé leur dernier projet en date, le « Nuward » (pour « Nuclear Forward »). Ce petit réacteur de 170 mégawatts électriques (MWe) à eau pressurisée (la même technologie que les réacteurs du parc actuel et que l’EPR), dont il a présenté le design le 6 avril dernier, est supposé lui permettre de rentrer dans la course internationale aux « Small Modular Reactor » (SMR, Petit réacteur modulaire). Des réacteurs dont la puissance est comprise entre 10 et 300 MWe, et qui sont censés révolutionner l’industrie nucléaire dans les prochaines décennies.
« Ce réacteur sera petit et compact, explique un porte-parole d’EDF à Reporterre. Il sera équipé de générateurs de vapeur à plaques, inspirés de la technologie des sous-marins, qui prennent beaucoup moins de place. Pressuriseur et générateurs de vapeur seront imbriqués dans la cuve. » Le tout tiendra dans une enceinte de confinement plongée dans un cube d’eau de vingt-cinq mètres par vingt-cinq — la moitié d’une piscine olympique —, présenté comme un dispositif de sûreté passive. Autre particularité, les différentes parties du réacteur seront fabriquées en usine et transportées jusqu’au site en camion ou en bateau. « L’idée est de réduire les assemblages sur site, ce qui permet d’éviter les rework [1] », poursuit EDF.
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Un succès commercial tout sauf acquis
Dans son article « Petits réacteurs nucléaires modulaires et avancés : une confrontation avec la réalité » (en anglais) paru en mars 2021, M. V. Ramana, physicien au laboratoire de recherches sur l’énergie nucléaire de l’université de Colombie-Britannique à Vancouver, démonte cette possibilité. « Pour des taux d’apprentissage tels que ceux prévus pour l’industrie nucléaire, le même modèle de SMR devra être fabriqué par milliers pour que le coût de l’électricité produite par les SMR soit équivalent au coût correspondant de l’électricité produite par les grands réacteurs », prévoit-il. En outre, « si l’on examine les données historiques, on constate qu’au niveau du parc, l’énergie nucléaire pourrait même avoir ce que l’on a appelé un taux d’apprentissage négatif. Aux États-Unis et en France, les deux pays possédant les plus grands parcs de réacteurs nucléaires, les réacteurs construits plus tard ont en fait coûté plus cher que ceux construits plus tôt », poursuit le chercheur.
Il douche tout espoir d’un vaste marché mondial : « Les SMR développés en Russie (KLT-40S), en Chine (HTR-PM) et en Corée du Sud (SMART) n’ont pas trouvé de clients. Aux États-Unis, le premier projet SMR proposé, impliquant la construction d’un réacteur NuScale, a connu des difficultés, de nombreuses compagnies d’électricité qui s’étaient engagées dans le projet ayant choisi d’abandonner le processus lorsque le coût élevé est devenu plus évident, rappelle-t-il. Les marchés de niche, par exemple les mines et les communautés éloignées qui ne sont pas desservies par le réseau et qui sont actuellement électrifiées par des centrales diesel dont le coût du carburant est très élevé, sont assez limités. En effet, même dans le meilleur des cas, où l’économie ne joue aucun rôle et où presque tous les utilisateurs potentiels de SMR achètent un petit réacteur modulaire, il a été démontré que la demande nette des mines et des communautés isolées au Canada était bien inférieure à la demande minimale nécessaire pour construire les usines nécessaires à la construction de ces réacteurs. »
« On essaie de nous vendre des technologies qui ne seraient pas matures avant 2040 ! »
Le consultant en énergie Mycle Schneider, qui coordonne chaque année le World Nuclear Industry Status Report, s’est également penché sur le cas de ces petits réacteurs modulaires. Son panorama de la situation n’est guère plus engageant. « Quand on fait le bilan des SMR en regardant quelles sont les réalisations, les durées de construction et les coûts, il est catastrophique. La construction des réacteurs flottants russes a pris environ quatre fois plus de temps que prévu, pour un coût estimé à 11 600 dollars par kilowatt installé, ce qui est nettement plus cher que les réacteurs de troisième génération les plus chers. En Chine, un réacteur à haute température est en cours de développement depuis les années 1970, en construction depuis 2012 et son démarrage est finalement envisagé cette année, soit quatre ans plus tard que prévu et avec un surcoût de 40 %. Le projet auparavant le plus avancé, le PBMR d’Afrique du Sud, a été abandonné après plus d’un milliard de dollars de dépenses publiques », énumère l’expert.
Il qualifie de « fumisterie » l’argument selon lequel les SMR seraient un outil de plus dans la lutte contre le changement climatique. « On ne peut pas dépenser un euro deux fois, donc il faut le dépenser pour réduire un maximum d’émissions de gaz à effet de serre au plus vite. Or si les premiers prototypes de SMR voyaient le jour en 2030, cela signifierait qu’ils ne seraient pas produits en série avant 2040. On nous parle d’urgence climatique et on essaie de nous vendre des technologies qui ne seraient pas commercialisées avant 2040 ! C’est une arnaque intellectuelle. Ceci, alors que le solaire photovoltaïque disponible aujourd’hui vient de battre le record de 0,9 centime d’euros le kWh en Arabie saoudite et 1,1 centime au Portugal, en Europe, soit environ le quart des coûts de fonctionnement des réacteurs nucléaires en service dans le monde. »
Notes
[1] C’est à dire devoir refaire certaines tâches, comme des soudures par exemple.