Tribune collective publiée dans Libération
Avec le développement des locations touristiques (800 000 annonces estimées en 2023), de plus en plus de propriétaires sont tentés de récupérer leur bien, parfois au mépris de la loi. Des élus et des associations de logement sonnent l’alerte : il faut mieux encadrer les congés locatifs.
« Le logement, je ne vais pas le donner à mon fils, je vais le louer pendant les Jeux Olympiques ! » , c’est sur cette phrase de son propriétaire que M. Martin a rendu les clés de son appartement dans lequel il vivait à Paris depuis 12 ans.
La Loi du 6 juillet 1989, modifiée en 2014 par la loi Alur et qui régit les rapports locatifs, est très claire. Elle prévoit deux cas dans lequel un propriétaire peut donner congé à son locataire : s’il décide de reprendre son bien pour lui ou l’un de ses proches ou s’il décide de le vendre. Dans une grande partie des cas, les propriétaires respectent parfaitement leurs obligations.
Mais de plus en plus, avec le développement des locations touristiques, 800 000 annonces estimées en France en 2023, nous constatons que certains propriétaires sont tentés de récupérer leurs biens, parfois au mépris de la loi, pour les louer aux touristes de passage. Car la tentation est grande de profiter de la hausse des prix pour louer leur bien en location meublée de courte durée, parfois 3 à 4 fois plus rentable que la location classique. D’autant plus que ce type de location bénéficie encore d’une fiscalité scandaleusement avantageuse alors que sévit une dure crise du logement dans notre pays.
Des conséquences parfois dramatiques pour les occupants délogés
Cette décision peut avoir des conséquences dramatiques pour les occupants qui, dès lors, sont priés de quitter les lieux dans les délais parfois très courts prévus par la loi. Faute de quoi, le propriétaire peut réclamer leur expulsion devant le tribunal judiciaire. Or dans les zones tendues, les grandes villes ou les zones touristiques, se reloger relève du défi, voire est complètement impossible pour une partie de ces locataires, notamment les plus modestes.
Les études de terrain sur les congés sont relativement rares mais certaines d’entre elles nous donnent des indications sur le profil des personnes concernées. L’Adil 75 par exemple relève dans son étude de 2022, que les ménages concernés sont pour une part importante modestes, âgés et vivent dans le logement depuis de nombreuses années. L’Alpil à Lyon note de son côté que parmi les ménages ayant fait l’objet d’un congé vente ou reprise, 38% étaient des personnes isolées, 30% des couples avec enfants, 22% de familles monoparentales et 10% de couples sans enfant. Ces ménages n’ont le plus souvent pas les moyens d’acheter leur logement, comme le prévoit la loi en cas de vente. Ils sont contraints d’aller vivre dans des logements plus petits pour garder un loyer similaire, dans des villes éloignées de leur habitation actuelle et de leur emploi.
Avec 2,6 millions de demandeurs, l’offre de logement social est quant à elle tellement saturée que ces locataires remerciés ne peuvent pas espérer avoir une solution de relogement avant l’échéance de leur bail.
Des congés qui ne subissent aucun contrôle
Aujourd’hui il est impossible de mesurer l’ampleur de ce phénomène faute d’un outil de suivi. Les congés sont donc envoyés par les propriétaires sans qu’aucun contrôle systématique ne soit réalisé pour éviter les abus. Ils peuvent en effet être délivrés par lettre recommandée ou par un simple courrier remis de la main à la main. Ce n’est que lorsque les cas arrivent devant les tribunaux qu’il est possible de comptabiliser leur évolution et de vérifier la réelle intention du bailleur. C’est ainsi que l’on sait qu’en 2019 au Pays-Basque le nombre de congés traités par le Tribunal de Bayonne dépasse celui de grandes villes comme Lyon ou Lille.
Mais ces cas ne représentent que la partie émergée de l’iceberg. Combien de locataires quittent leur logement sans demander leur reste, par peur d’une procédure humiliante et traumatisante ?
Car les congés sont parfois délivrés de façon frauduleuse, sans réelle intention d’occuper le logement ou de le vendre. Et le législateur en a bien eu conscience lors de la rédaction de la loi puisqu’il a prévu une sanction pénale pour ce type d’agissement. Mais combien d’amendes ont été délivrées depuis ? Très peu de propriétaires mal intentionnés ont été condamnés jusqu’à présent.
Les locataires ont très peu de pouvoir de contrôle. Bien sûr les associations, les avocats, les Adil renseignent sur la validité des congés, et nous devons inciter les locataires à aller les consulter systématiquement. Mais comment savoir si un logement est reloué ensuite deux fois plus cher après le départ de son occupant, ou proposé sur les plateformes de location touristique ? Les locataires n’en ont pas les moyens et la loi ne prévoit aucun moyen de les y aider.
Les associations constatent par ailleurs que, lorsqu’ils sont contrôlés par un juriste, une grande partie des congés ne sont pas valides. Pour l’Adil 93, ce sont 60% des congés étudiés par l’association dans ses permanences qui ne respectent pas les règles de fond ou de forme. Cela signifie que dans de nombreux cas le propriétaire ne remplit pas les conditions pour demander à son locataire de quitter le logement et que l’expulsion aurait pu être évitée.
La crise du logement et la tension des marchés dans les zones concernées exigent d’opérer un meilleur contrôle des conditions dans lesquelles les propriétaires récupèrent leur logement. La situation ne permet en outre plus de fermer les yeux sur des pratiques d’une minorité de propriétaires devenues inacceptables.
C’est pourquoi, tout en saluant la majorité des propriétaires en conformité avec la loi, nous appelons le législateur à mieux encadrer les congés, en les recensant, en ouvrant la possibilité de contrôles a posteriori voire en limitant les congés vente lorsque la situation l’exige, afin que cessent ces abus et qu’ils soient sévèrement sanctionnés lorsqu’ils se produisent.
Paris, le 28 mars 2024