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Loi immigration : des digues ont sauté face à la xénophobie et à la remise en cause de l’Etat de droit

Tribune collective publiée dans"Le Monde" le 14 février 2024.

Emmanuel Macron a procédé à la promulgation de la loi dite « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », le 26 janvier. La veille, le Conseil constitutionnel infligeait un revers sérieux au gouvernement et aux parlementaires ayant voté ce texte, en jugeant non conformes à la Constitution près de 40 % de son contenu. Mais cette décision est un soulagement en trompe-l’œil, car les magistrats n’ont pas jugé sur le fond la plupart des mesures, mais en ont censuré seulement la forme, estimant qu’elles n’avaient pas de relation directe avec le projet de loi initial.

Ils laissent ainsi la porte ouverte à ce que ces dispositions, directement issues d’une idéologie xénophobe, ressurgissent par le biais de nouvelles propositions législatives. C’est d’ailleurs ce que l’Union centriste et, bientôt, Les Républicains tentent de faire avec une proposition de loi déposée fin janvier au Sénat reprenant quelques-unes des pires mesures censurées.

D’autre part, l’institution a jugé conformes à la Constitution d’autres mesures délétères pour la vie et les droits des personnes étrangères, présentes dans le texte initial du gouvernement. Pis, elle n’a pas émis d’avis sur la constitutionnalité de plus de quarante mesures extrêmement inquiétantes de la loi. Il s’agit là du texte le plus répressif depuis 1945. Car les mesures, pour certaines déjà en vigueur, constituent une aggravation manifeste de l’arsenal répressif à disposition des préfets et maintiendront des milliers de personnes dans une précarité toujours plus grande.

Démantèlement progressif

Le volet répression du projet de loi initial, déjà inquiétant, est ainsi durci : condition de « respect des principes de la République » pour l’obtention ou le renouvellement d’un titre de séjour, renforcement de la double peine, levée des protections contre les obligations de quitter le territoire français (OQTF), y compris pour les conjoints ou parents de Français, instrumentalisation de la menace à l’ordre public, allongement des délais pour accéder au juge des libertés en zone d’attente et en centre de rétention administrative, allongement de la durée exécutoire des OQTF, de la durée des assignations à résidence ou encore des interdictions de retour sur le territoire, création d’un fichier de mineurs étrangers délinquants ou encore exclusion de l’aide sociale à l’enfance pour les jeunes sous OQTF.

L’ensemble de ces mesures constitue une attaque sans précédents contre les droits des personnes étrangères, par sa violence et son ampleur.

Par ailleurs, la loi contient un démantèlement progressif du système d’asile. La fin de la collégialité des formations de jugement à la Cour nationale du droit d’asile, la facilitation du refus ou du retrait des conditions matérielles d’accueil, la possibilité du placement en rétention des personnes avant l’enregistrement de leur demande d’asile, la délivrance quasi automatique d’OQTF dès le rejet de leur demande sont autant de mesures qui visent à vider de sa substance notre système d’accueil pour les personnes cherchant une protection en France.

Le gouvernement annonçait un texte « équilibré », entre humanité et fermeté. Seule la seconde intention subsiste, alors que le volet intégration de la loi a été réduit à peau de chagrin. Désormais, le gouvernement ne cache même plus sa volonté d’avoir recours à une immigration choisie, recherchant de la main-d’œuvre à disposition, « consommable » selon les besoins de notre société.

Des digues ont sauté face à la xénophobie et à la remise en cause de l’Etat de droit. L’esprit de cette loi et la plupart des mesures du gouvernement ou issues d’amendements des Républicains, adoptées avec le concours du Rassemblement national célébrant une « victoire idéologique », sont incompatibles avec une société humaniste.

Un jeu funeste

Depuis mars 2023, l’examen parlementaire de ce texte a servi à justifier les discours les plus haineux et racistes, mais également ceux remettant en cause des éléments fondateurs de notre système démocratique. Parce que certaines de leurs propositions politiques seraient incompatibles avec les conventions internationales, les traités européens et notre Constitution, la droite et l’extrême droite ont ainsi affirmé la nécessité de réformer notre système de hiérarchie des normes pour déroger à ces obligations et engagements.

L’ensemble de ces textes protecteurs garantit le respect effectif des droits humains et la dignité de toutes et tous sur notre territoire, et ne devrait jamais être révisé dans le but de retirer des droits à certains. Or, le gouvernement s’est prêté à ce jeu funeste en faisant sciemment voter une loi comprenant des dispositions inconstitutionnelles.

Des digues ont sauté. Les conséquences seront difficilement réparables. Le gouvernement ne semble d’ailleurs pas vouloir s’engager dans leur reconstruction, comme en témoignent les annonces sur la future réglementation de l’aide médicale de l’Etat ou la réforme constitutionnelle sur le droit du sol à Mayotte. Le soutien inconditionnel de la France au dangereux Pacte européen sur la migration et l’asile est un autre signal délétère.

Nous ne nous résignerons pas et continuerons de lutter pour une société humaniste tournée vers l’accueil, protégeant toute personne, quel que soit son statut administratif, et faisant respecter les droits humains de manière inconditionnelle.

Les migrations continueront, qu’il y ait des voies légales et sûres ou non pour traiter les demandes. Des politiques d’accueil dignes pour toutes et tous, même si elles demandent du courage politique, seraient une solution plus pérenne pour le respect des droits des personnes exilées et pour la société.

Premiers signataires : Patrick Baudouin et Marie Christine Vergiat, président et vice-présidente de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Sophie Binet , secrétaire générale de la CGT ; Sylvie Bukhari-de Pontual, présidente de CCFD-Terre solidaire ; Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de La Cimade ; Cybèle David et Julie Ferrua, secrétaires nationales de l’Union syndicale Solidaires ; Aboubacar Dembélé, porte-parole du Collectif des travailleurs sans papiers de Vitry ; Mody Diawara, porte-parole du Collectif des sans-papiers de Montreuil ; Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature ; Jean-Claude Samouiller, président d’Amnesty International France ; Yoro Traoré, porte-parole de la Coordination des sans-papiers de Paris

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