Depuis 30 ans, les textes relatifs à la politique migratoire de la France se succèdent et ont toujours les mêmes conséquences : le recul des droits des personnes exilées et la détérioration de leurs conditions d’accueil. Le contenu de ce nouveau projet de loi est considérablement aggravé par rapport à sa version initiale.
Notre priorité : le respect des droits humains de tous et toutes.
Voici un décryptage de certaines des mesures proposées.
L’aide médicale d’État (AME) supprimée et remplacée par une aide d’urgence
Ce que propose le gouvernement
Le gouvernement envisage la suppression de l‘aide médicale d’État, dans le cadre de ce nouveau projet de loi.
L'AME est un dispositif qui permet actuellement aux personnes en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins. Le gouvernement souhaite le remplacer par une aide médicale d’urgence qui ne permettrait plus le remboursement d’un grand nombre de soins et donc en réduirait l’accès pour les personnes les plus précaires.
Nos demandes
Nous nous opposons fermement au démantèlement de l’AME. Cela représenterait un véritable danger pour la santé des personnes en situation irrégulière et aurait une incidence sur la santé publique en général.
L‘enfermement des enfants exilés interdit aux moins de 16 ans
Ce que propose le gouvernement
Après l’enfermement de milliers d’enfants en raison de la situation administrative de leurs parents, après neuf condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme et après des années de campagne des associations, le gouvernement envisage dans cette loi d’interdire enfin l’enfermement des enfants de moins de 16 ans en centre de rétention administrative (CRA).
Aussi, cette mesure concerne les CRA, mais, comme nous le redoutions, elle ne concerne pas les locaux de rétention administrative (LRA) et les zones d’attente.
Donc des enfants continueront d'être enfermés dans des lieux de privation de liberté.
Nos demandes
C’est mieux qu’actuellement mais ce n’est pas assez. Nous demandons l’interdiction de l’enfermement de tous les mineur·es, c’est-à-dire des enfants de moins de 18 ans. Le fait que les mineurs de 16 à 18 ans ne soient pas concernés par la mesure est tout bonnement contraire au droit international.
Nous restons aussi préoccupés par les déclarations du ministre de l’Intérieur souhaitant exclure les enfants de Mayotte de cette interdiction. En 2021, 3 135 enfants ont été enfermés en centre de rétention et 76 en France hexagonale, selon La Cimade.
La régularisation des travailleurs et travailleuses sans papier uniquement dans les métiers en tension
Ce que propose le gouvernement
Les salarié·es ne seraient plus dépendant·es de leur employeur pour faire leur demande de régularisation. C'est une avancée : cela permet de limiter le pouvoir de l’employeur et d’éviter les abus, le chantage ou l’exploitation au travail.
Nos demandes
Tous les travailleurs et toutes les travailleuses sans-papiers devraient bénéficier des mêmes droits, quels que soient les besoins économiques du pays. La régularisation des travailleurs et travailleuses sans papier ne devrait donc pas être limitée aux secteurs d’activité en tension. Les personnes doivent aussi être autorisées à changer d’employeur pendant la période d’examen de leur demande de régularisation.
Parallèlement, les parlementaires doivent accorder une vigilance particulière à la situation des femmes travailleuses sans-papiers, pour éviter tout risque de discrimination même indirecte dans l’accès aux démarches de régularisation. En effet, les femmes sont plus touchées que les hommes par le temps partiel subi et sont donc plus souvent contraintes d’avoir plusieurs employeurs (aides à domicile, travailleuses du secteur de la propreté ou travailleuses domestiques par ex.)
Les parlementaires doivent faire en sorte qu’elles aient les mêmes chances d’être régularisées que les hommes.
Aussi, nous rappelons que la procédure de régularisation se doit d’être juste, simple, prévisible, transparente, et les personnes doivent pouvoir obtenir une réponse dans des délais raisonnables.
La collégialité des juges, gage d’impartialité, supprimée
Aujourd’hui, les demandes de recours d’asile sont le plus souvent étudiées par trois juges qui possèdent des expertises différentes, lors d’une audience à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Ces trois juges siègent ensemble : c’est ce qu’on appelle le principe de collégialité.
Parmi les trois juges, la présence d’une personne nommée par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) fait la spécificité de la CNDA. C’est un acquis précieux car beaucoup ont une expertise sur les pays d’origine, qui permet de mieux comprendre les raisons pour lesquelles la personne est en exil.
Ce que propose le gouvernement
Le projet de loi prévoit la généralisation d'un juge unique pour traiter les dossiers de demande d’asile devant la CNDA, sauf en cas d’affaire particulièrement « complexe ». Un juge seul, et non trois, aurait alors la responsabilité de décider d’accepter ou de refuser la demande d’asile, donc de décider seul de la vie de nombreuses personnes.
Un véritable recul pour les personnes qui demandent l’asile en France !
Nos demandes
Il est important de conserver la collégialité des juges pour traiter les demandes d’asile. La présence de trois juges permet de croiser les regards et d’éviter de se laisser guider par des représentations personnelles pour juger de la crédibilité et la cohérence du récit. Cette collégialité est un gage d’impartialité.
Une journée d’audience, ce sont 13 dossiers examinés, 13 histoires de vie très différentes : d’un opposant politique sri-lankais, à une jeune fille fuyant l’excision en Guinée, en passant par des persécutions liées à l’orientation sexuelle… Trois juges ne sont pas de trop lorsqu’il s’agit de traiter de dossiers si sensibles. De nombreuses personnes qui demandent l’asile jouent leur vie et leur sécurité à ces audiences.
Le système de l’asile et de l’accueil en France dysfonctionne depuis de nombreuses années. Avant un nouveau projet de loi, c’est tout d’abord le respect des droits déjà prévus par le droit national, européen et international qui est nécessaire pour améliorer la situation dramatique sur le terrain : des personnes contraintes de vivre sous des tentes au cœur de nos villes, des atteintes graves aux droits fondamentaux à nos frontières - pour ne citer que ces problèmes.
Dans l’attente de ces mesures de fond, nous appelons les parlementaires à rejeter ce texte et à adopter une politique respectueuse des droits fondamentaux et de la dignité des personnes migrantes.
Un enfant exilé se fraie un chemin devant des abris dans un champ boueux appelé la jungle de Grande-Synthe, près de Dunkerque, dans le nord de la France, le 12 janvier 2016 © REUTERS/Benoit Tessier