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« Cette crise sociale s’enracine au plus profond d’un présidentialisme vertigineux »

Tribune de Pierre Tartakowsky, président d’honneur de la LDH, publiée dans La Croix.

Pierre Tartakowsky, président d’honneur de la LDH (Ligue des droits de l’Homme), juge durement le rapport entretenu par le président Emmanuel Macron à la démocratie. Une vision très « aristocratique » du pouvoir qui s’enracinerait dans un présidentialisme daté.

On s’épuiserait à détailler la somme des dégâts provoqués par l’entêtement – le mot est faible – d’Emmanuel Macron à maintenir son projet de réforme sur les retraites. Le dialogue politique est dévasté, le dialogue social piétiné, les élus méprisés, les syndicats insultés, l’opposition populaire renvoyée au statut de « foule » en recherche d’« émeute » tandis que la police renoue dans les villes de France avec les mauvaises méthodes mises en œuvre contre les gilets jaunes, les écologistes, les syndicalistes…

Il faut ajouter au tableau un gouvernement en sursis et un président de la République largement délégitimé tant en France qu’à l’étranger. Même s’il retire son projet, ce qu’il devrait évidemment faire, la crise restera patente, globale et surtout, très incertaine quant à ses issues. Elle doit certes beaucoup à la personnalité du président, même si elle vient de loin. Elle s’enracine au plus profond d’une Constitution (dotée) d’un présidentialisme vertigineux mais elle a pris en quelques semaines une dimension paroxystique.

Le « J’assume » présidentiel, asséné au-dessus d’un champ de ruines, dit d’ailleurs l’essentiel en deux mots. Un seul aurait d’ailleurs suffit pour exprimer la somme des mécanismes qui défigurent l’image de la République et alimentent une crise institutionnelle aux retombées plurielles – démocratique, sociale, voire républicaine. Pourtant, en rester au stade de l’étude de la psyché d’Emmanuel Macron reviendrait à ignorer son soubassement politique et la dynamique de blocages ainsi « assumés », comme par tant d’autres présidents ces dernières décennies.

Vision de la démocratie

Bien au-delà du contenu de la réforme des retraites, ce qui se joue tourne autour de la vision qu’on défend de la démocratie. Selon qu’on la considère comme un ensemble de procédures formelles ou comme un processus constant « d’arrangements sociaux », on n’en aura pas la même approche, ni les mêmes usages. Or, au fil de ces dernières décennies, l’opinion publique a eu maintes fois l’occasion de se heurter à la conception profondément élitiste qu’ont les dirigeants du pays de la décision politique.

De la promesse non tenue de Jacques Chirac de combattre la fracture sociale aux manipulations qui ont suivi le « non » au référendum sur le traité constitutionnel européen, en passant par le « j’ai changé » de Nicolas Sarkozy et la succession de promesses d’une « nouvelle méthode » d’Emmanuel Macron, l’idée s’est peu à peu installée qu’avec le pouvoir, c’est : « Pile je gagne, face tu perds. » Lorsque Emmanuel Macron confie à son entourage proche – tout en s’assurant que cela sera répété – qu’il lui était impossible de renoncer à son projet de réforme car les marchés auraient mis le pays en faillite, il ment sur la forme. Sur le fond, il livre sa vérité, à savoir que la « foule » n’est pas en état de prendre une décision éclairée, que lui seul y suffit. D’autre part qu’il a choisi un camp, qui n’est pas, justement, celui de la « foule ».

Essence aristocratique

Ce double déni d’essence aristocratique, en tous points opposé à la lettre et à l’esprit démocratique, a largement contribué à dévaluer la parole politique, les institutions, le sens du débat public et son éthique. Plus grave encore : il a sciemment découragé l’envie de citoyenneté en opposant aux droits une dialectique d’autorité toxique ; c’est avec elle qu’il s’agit de rompre. La crise actuelle atteste de l’exigence d’un changement de grande ampleur et c’est salutaire mais l’issue en est plus qu’incertaine, grevée par l’existence d’un parti politique nationaliste, autoritaire et xénophobe.

Plus que d’une question de style ou de management, il s’agit de savoir comment affronter les défis vitaux de la période – la transition écologique, la lutte contre la pauvreté, la réduction des inégalités, la construction d’un nouveau sens du travail. Tous excluent tout repli identitaire, appellent au contraire à s’appuyer sur une extension d’une démocratie politique et sociale par les droits.

Une démocratie vivante

Progresser vers l’objectif d’un logement pour tous passe par la mise en synergie d’une palette d’acteurs aux priorités très diverses. Il faut donc en amont aboutir à un accord qui ne saurait être basé que sur la mise en œuvre du droit au logement. Réduire la grande pauvreté passera par l’affirmation de droits et non par des politiques répressives telles qui s’abattent sur les privés d’emploi, les privés de logement. Redonner du sens au travail à travers de nouvelles organisations du temps, des objectifs de ce travail, de politiques sociales valorisant l’emploi, le salaire, les carrières, passera nécessairement par de nouveaux droits démocratiques sur les lieux de travail. Dans les temps prochains, l’accès à l’eau pour toutes et tous va devenir un objet de tensions et de questionnements sur ses usages et leurs priorités.

Tous ces chantiers appellent des décisions touchant à la répartition des richesses, au sens général du terme, et à leur affectation. Dans notre société complexe, cela implique obligatoirement des conflits, des débats, des expérimentations, des arbitrages. Pour qu’ils soient pérennes et salutaires, ces arbitrages devront procéder d’une démocratie vivante et concrète, de l’implication des élus, des salariés, des citoyens. Cette approche de la démocratie par les droits et des droits par la démocratie est loin d’être la plus simple. Mais c’est la seule qui vaille.

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