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“L’été en libération conditionnelle”

Tribune de Malik Salemkour, président de la LDH, publiée sur Mediapart

La pandémie de la Covid-19 est d’une exceptionnelle gravité, se diffusant partout dans le monde avec plus de 4 millions de morts en moins de deux ans. La France paye un lourd tribut : plus de 111 000 décès, près de 6 millions de personnes contaminées, dont beaucoup ont d’importantes séquelles. Des mesures extraordinaires ont été prises par les pouvoirs publics pour protéger la population, endiguer la propagation du virus et sa mortalité. Les importants efforts consentis par tout un chacun ont permis la forte décrue des contaminations et des hospitalisations, après une violente troisième vague subie au printemps. C’est dans ce contexte favorable que le président de la République a décidé un large assouplissement des contraintes à l’été et ouvert l’espoir d’un retour progressif à la normale, après des mois de succession de confinements et de restrictions lourdes dans nos vies quotidiennes qui pèsent sur le moral de toutes et tous. Pourtant, l’arrivée d’un variant « Delta » plus contagieux profilait une quatrième vague prochaine. Le pari de l’exécutif d’en maîtriser la période d’impact et d’avoir un taux de vaccination suffisant pour la limiter a été perdu, l’obligeant à faire volte-face. Dans la précipitation, donnant encore un sentiment d’imprévoyance et de gestion erratique, Emmanuel Macron a dû revenir sur ses promesses en annonçant des dispositions contraignantes dans de larges champs de la vie sociale, qui interrogent et inquiètent.

L’action du gouvernement face à une telle catastrophe sanitaire s’inscrit sur une ligne de crête dans un équilibre délicat entre obligations de santé publique et protection des libertés individuelles. L’Etat a à prendre les mesures nécessaires et suffisantes, au vu des connaissances médicales et scientifiques disponibles, pour la prévention collective, et garantir à chacune et à chacun un égal accès aux soins. Pour les décideurs publics, ne pas en faire assez ouvre des responsabilités pénales avec la menace d’être accusés de mise en danger de la vie d’autrui. En faire trop, c’est prendre le risque de porter atteinte à des libertés constitutionnelles, bases essentielles de notre démocratie. Avec le projet de loi présenté en urgence mi-juillet, l’exécutif penche d’évidence vers cette seconde option, passant de l’incitation volontaire menée jusqu’ici à la coercition, pour forcer la vaccination de toute la population.

Si des critiques fortes peuvent être avancées sur cette inclinaison autoritaire, il faut savoir raison garder. Les manifestations contre le pass sanitaire, exhibant des étoiles jaunes sur les non-vaccinés, sont une insulte intolérable envers les millions de victimes de la barbarie nazie et une banalisation inacceptable de l’antisémitisme, montrant l’importance de l’acuité de son combat. A côté de ces nauséabondes provocations à ne pas laisser passer, de légitimes inquiétudes s’expriment. Ce choix politique de vouloir favoriser les personnes vaccinées ou testées dans de nombreux actes quotidiens, et par voie de conséquence de discrimination des autres, soulèvent de graves questions éthiques et d’égalité des droits. Une appréciation précise de l’opportunité et de la proportionnalité de chacune des mesures envisagées est nécessaire au regard des objectifs de santé publique poursuivis et des moyens pour les atteindre.

Des lignes rouges sont à poser sur l’usage du pass sanitaire dans la vie courante, comme le Conseil d’Etat l’a rappelé dans un avis début juillet. Les contrôles de l’état de santé et de l’identité sont des prérogatives de puissance publique à manier avec grande prudence. Transférer de telles responsabilités à des acteurs privés, commerçants ou restaurateurs par exemple, apparaît totalement disproportionné, en plus des tensions et abus que ces pratiques ne manqueraient pas d’engendrer.

Dans tous les cas, l’accès au pass sanitaire doit rester garanti pour toutes et tous, sans conditions de ressources. Le déremboursement des tests serait en pratique discriminatoire et fragiliserait les plus démunis, avec des effets néfastes sur la santé publique. De même, l’obligation posée aux mineurs de plus de 12 ans serait problématique, ceux-ci étant, en matière sanitaire et de vaccination, placés sous l’autorité de leurs parents qui doivent rester libres de leurs choix, sans préjudice pour la vie pratique de leurs enfants.

Avec ce nouveau virus et ses variants à venir, il nous faut apprendre à vivre avec de longs mois encore et accepter une part de risque, le temps d’obtenir une immunité collective efficace. Le « risque zéro » est une chimère, comme l’idée d’une population totalement vaccinée à court terme. Plutôt que de céder à l’autoritarisme avec ses risques de répression et de violences, les efforts d’explication et incitatifs, d’accès gratuit et simple à la vaccination sur tous les territoires, qui portent déjà bien leurs fruits, sont à poursuivre et à renforcer pour convaincre rapidement une très large partie de la population de se protéger, et particulièrement les plus fragiles, sans sacrifier nos libertés fondamentales à des objectifs illusoires.

Malik Salemkour, président de la LDH

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