Communiqué d'Amnesty International le 18.06.2019.
En 2019, plusieurs États américains ont adopté des lois qui interdisent l’avortement dans la pratique, tandis que d’autres ont pris des mesures visant à restreindre très fortement la possibilité d’y avoir accès.
Voici 10 informations clés à connaître sur cette répression visant les droits en matière de procréation.
1 - Un processus de longue haleine
En 1973, la Cour suprême des États-Unis statuait que l’avortement était légal en rendant l’arrêt historique Roe c. Wade. Depuis lors, les militants et les responsables politiques opposés à l’avortement se mobilisent en vue de faire annuler cette décision et nous assistons aujourd’hui aux fruits de ce travail. Les attaques contre l’arrêt rendu dans l’affaire Roe se sont intensifiées lorsque le président Donald Trump a nommé deux nouveaux juges à la Cour suprême, tous deux ayant exprimé des opinions hostiles à l’avortement.
Toutefois, il faut savoir que la loi n’est pas le seul facteur qui détermine si les femmes peuvent avoir accès à l’avortement. Depuis 1973, les militants anti-choix rognent progressivement sur l’accès à l’avortement, notamment en érigeant des obstacles financiers et logistiques, rendant ainsi cet accès difficile voire impossible – en dépit de ce que dit la loi.
2 - Des difficultés d'accès à l'avortement
Prenons l’Alabama par exemple. En mai, le gouverneur de cet État a promulgué une loi draconienne permettant de condamner à la réclusion à perpétuité les médecins qui pratiquent des avortements. Pourtant, dans la pratique, l’avortement est déjà inaccessible pour de nombreuses femmes en Alabama.
L’Institut Guttmatcher a révélé qu’en 2014, 93 % des comtés de l’Alabama ne disposaient pas de cliniques réalisant des avortements. Aussi la plupart des habitants de l’Alabama doivent-ils se rendre dans d’autres États pour avoir accès à l’avortement. Même ainsi, de nombreuses femmes n’ont pas les moyens de mettre un terme à leur grossesse.
C’est parce que l’Alabama, à l’instar de nombreux États, n’inclut pas l’avortement sur la liste des services de santé dont les personnes à faibles revenus peuvent bénéficier grâce à Medicaid (programme de couverture santé financé par les pouvoirs publics). Aujourd’hui, tous les États doivent fournir des fonds publics pour les avortements en cas de viol, d’inceste ou de menace pour la vie – mais dans de nombreux endroits, ces exceptions n’auront plus de sens si de nouvelles lois draconiennes entrent en vigueur.
3 - Pas assez de cliniques pratiquants l'avortement
Six États américains ne disposent que d’une seule clinique fournissant des services d’avortement. Vingt-sept grandes villes des États-Unis et une grande partie de l’Amérique rurale sont des « déserts » en termes d’avortement : la plupart des habitants vivent à plus de 160 kilomètres d’un tel service.
L’un des moyens pour les militants anti-choix de rayer de la carte des services essentiels consiste à réglementer de manière ciblée ceux qui réalisent des avortements, via les lois « TRAP » (Targeted Regulation of Abortion Providers). Il s’agit de critères d’enregistrement tatillons, qui font qu’il est difficile pour ces services de rester ouverts.
Par exemple, les autorités de l’État peuvent préciser de quelle largeur doivent être les couloirs dans un bâtiment où les médecins pratiquent des avortements, la taille des places de parking ou la distance qui doit séparer ces locaux d’une école. Ces normes n’ont rien à voir avec la sécurité des patientes. Elles visent à exercer une telle pression sur les services réalisant des avortements qu’ils sont contraints de fermer.
4 - Certains États ont interdit tous les avortements
En Alabama, la nouvelle législation interdit l’avortement à partir du moment où il est établi qu’une femme est enceinte, sans aucune exception. C’est à l’heure actuelle la loi la plus stricte.
Cinq États – la Géorgie, l’Ohio, le Kentucky, le Mississippi et la Louisiane – ont adopté des lois qui interdisent l’avortement après environ six semaines, c’est-à-dire pour beaucoup de femmes avant qu’elles ne réalisent qu’elles sont enceintes.
5 - Et d'autres ont mis en place des interdictions
Selon le Guttmacher Institute, 42 restrictions liées à l’avortement ont été promulguées entre le 1er janvier et le 15 mai 2019. Cela va de mesures comme l’interdiction de certaines procédures assez courantes au fait de rendre obligatoire l’accord parental pour les adolescentes qui souhaitent avorter.
6 - Ces nouvelles lois se traduiront par des lésions et des décès
Les lois anti-avortement ne se traduisent pas par une réduction ni une disparition des avortements, elles les rendent simplement plus dangereux.
Lorsqu’ils sont pratiqués avec l’aide d’un professionnel de santé qualifié dans de bonnes conditions d’hygiène, les avortements comptent parmi les actes médicaux les plus sûrs disponibles. Cependant, lorsqu’ils sont restreints ou criminalisés, les femmes sont contraintes de rechercher des moyens moins sûrs pour mettre un terme à leur grossesse.
De par le monde, on estime que cinq millions de femmes sont hospitalisées chaque année pour être soignées pour des complications liées à un avortement et qu’environ 47 000 en meurent.
Les États-Unis ont le taux de mortalité maternelle le plus élevé de tous les pays développés ; les États dotés des lois sur l’avortement les plus restrictives présentent déjà des taux plus élevés de mortalité infantile et maternelle. C’est pourquoi ces nouvelles lois mèneront droit au désastre s’agissant de la santé des femmes.
7 - Des lois discriminatoires
Les femmes et les jeunes filles à faibles revenus – adolescentes, femmes de couleur, migrantes et réfugiées notamment – sont les plus durement touchées par les restrictions en matière d’avortement, parce qu’il leur est plus difficile de s’acquitter de frais, de se rendre à l’étranger ou de s’absenter de leur travail.
Les Afro-Américaines ont trois ou quatre fois plus de risques de mourir pendant leur grossesse ou leur accouchement que les femmes blanches aux États-Unis et cette inégalité honteuse risque fort de s’aggraver du fait des nouvelles lois qui rendent la grossesse plus dangereuse.
Ces lois sont un coup dur pour les personnes LGBTI, dont les droits sont gravement mis à mal sous le gouvernement de Donald Trump. Les transgenres aux États-Unis sont déjà confrontés à de nombreux obstacles pour accéder aux services de santé en matière de procréation et cette série de nouvelles lois ne fera que les exclure davantage.
8 - Ces lois ne touchent pas seulement les habitants des États-Unis
En 2017, le président Donald Trump a rétabli et élargi la « règle du bâillon mondial ». Cette règle dispose que toute organisation travaillant à l’étranger qui reçoit des fonds américains destinés à la santé ne peut même pas mentionner l’avortement dans le cadre de ses programmes de conseil ou d’éducation – même lorsque les États-Unis ne financent pas eux-mêmes ces programmes précis.
Même si les personnes chargées de ces programmes pensent qu’une grossesse met la santé de la femme en danger, elles ne peuvent pas lui dire que l’avortement est une option ni la diriger vers un avortement sécurisé.
Une récente étude a démontré que du fait de cette politique, tout un éventail de services sont moins accessibles, y compris les services de contraception, les tests de dépistage et les soins relatifs au VIH/SIDA, le dépistage du cancer du col de l'utérus et l’aide aux victimes de violences fondées sur le genre.
9 - 73 % des Américains souhaitent que l’avortement demeure sûr et légal
Les législateurs qui imposent ces restrictions excessives à l’accès à l’avortement ne représentent pas l’opinion de la majorité des Américains.
Un sondage indépendant publié en janvier 2019 révèle que les deux-tiers des Américains pensent que l’avortement devrait être légal dans « tous » ou « la plupart » des cas et 73 % s’opposent à l’annulation de l’arrêt Roe c. Wade.
10 - Le combat n'est pas terminé !
Aucune des lois sur l’avortement adoptées cette année n’est encore entrée en vigueur et l’avortement demeure légal dans les 50 États américains (au 11 juin 2019).
L’Union américaine pour les libertés publiques (ACLU), l’association Planned Parenthood Action Fund et d’autres ont promis de riposter et des poursuites sont déjà engagées dans plusieurs États.
Le 31 mai, Planned Parenthood Action Fund a eu gain de cause devant les tribunaux concernant le maintien de l’ouverture de la seule clinique assurant des interruptions volontaires de grossesse dans le Missouri le jour où elle devait fermer. Le projet de loi « six semaines » qui devait être mis en place au Kentucky a été temporairement bloqué.
Précédemment, des projets de loi similaires ont été invalidés car inconstitutionnels dans des États comme l’Iowa et le Dakota du Nord.
En mai, des milliers de personnes ont pris part à des rassemblements coordonnés, pour demander aux États de mettre fin aux interdictions, #stopthebans, et des citoyens du monde entier continuent de faire entendre leurs voix pour défendre les droits en matière de procréation.