Une version du discours que le président de la République devait prononcer lundi suite au Grand Débat national a fuité dans la presse, malgré son report du à l’incendie de Notre-Dame. France Nature Environnement, avec d’autres ONG, s’alarme à sa lecture et espère que ce n’est pas la version qui sera finalement prononcée. Est-il vraiment possible que le Président oublie la transition écologique ?
Depuis septembre, le sentiment d’urgence climatique rassemble dans la rue de plusieurs pays une foule de plus en plus nombreuse. Les jeunes, à l’image de Greta Thunberg, appellent à un changement rapide des modes de production et de consommation pour ne pas hypothéquer leurs conditions de vie futures. Les Français perçoivent déjà cette alerte : 62 % des contributeurs à la plateforme du grand débat national estiment que leur vie quotidienne est touchée par le changement climatique. Canicules plus longues accompagnées de pics de pollution de l’air, sécheresses plus fréquentes, tempêtes et pluies plus intenses, érosion des côtes, augmentation des risques pesant sur les productions agricoles, propagation de virus transmis par le moustique tigre, les impacts sont déjà bien réels, en France et dans le reste du monde.
Certains ont voulu opposer les gilets jaunes aux défenseurs du climat. C’est mal comprendre les femmes et les hommes qui se sont rassemblés sur les ronds-points pour marquer leur ras-le-bol face à un coût de la vie de plus en plus élevé et une hausse du prix des carburants. Utiliser un véhicule polluant, parcourir de plus en plus de kilomètres, est-ce un choix ou une obligation quand les distances augmentent entre le domicile et le travail, quand les services publics se raréfient en milieu rural, quand les centres villes se désertifient, quand les constructeurs automobiles n’ont pas anticipé la sortie des énergies fossiles et vont même jusqu’à utiliser des logiciels truqueurs pour pouvoir polluer davantage ?
Personne ne souhaite polluer et aggraver le dérèglement climatique. Les Français sont prêts à changer leurs habitudes. Ils acceptent de faire des efforts financiers, mais ils souhaitent qu’ils soient justement répartis. En France, on estime que les 10 % les plus riches émettent 40 fois plus de carbone que les 10% les plus pauvres, mais les pauvres paient plus de 4 fois plus de taxe carbone en pourcentage de leurs revenus ! Comment accepter que la fiscalité écologique augmente quand le transport de marchandises ou l’aviation en sont largement exonérés ? Comment ne pas s’opposer à une hausse du prix de l’énergie quand les politiques pour l’économiser ont été remisées aux oubliettes depuis les années 70 ? Comment rénover son logement quand les aides pour le faire sont si complexes ?
L’Etat doit fixer un cap, sans flancher face aux groupes de pression, avec la lutte contre les inégalités comme gouvernail. C’est la condition sine qua non d’un changement radical de modèle pour maîtriser le dérèglement climatique et rendre les fins de mois de tous vivables. Donner une représentation d’une France neutre en carbone, traduire cette vision concrètement dans le quotidien des Français, leur alimentation, leur mobilité, leur logement, leur consommation, en explicitant les impacts pour l’emploi, l’industrie, la santé avec la qualité de l’air ou une alimentation plus saine, et la lutte contre la précarité. C’est un enjeu clé pour stopper les injonctions contradictoires. Etre clair et ferme sur la voie choisie est aussi le seul moyen pour mettre en adéquation les discours et les actes afin que la France ne soit plus constamment en dépassement de ses budgets carbone.
Le climat est-il si éloigné des priorités du Président de la République qu’il ne propose aucune disposition dans ce domaine en sortie du grand débat national ? Où sont les mesures concrètes, urgentes, pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre ? Leur absence totale, alors que les débats ont été riches en propositions en ce sens, est incompréhensible et, pire encore, irresponsable quand on sait que lutter contre le dérèglement climatique est une course contre la montre.
Monsieur le Président de la République, ne tournez pas le dos à l’urgence climatique ! Entendez l’appel des Français à agir pour une société plus écologique et plus juste. Dans la lignée du Pacte du pouvoir de vivre, ils attendent du courage pour faire des choix à l’issue de ces trois mois de débats. Permettre à tous de se déplacer en polluant moins, donner la possibilité d’accéder à une alimentation saine et durable, acter un droit à un logement à la facture d’énergie abordable, autant d’orientations qui demandent enfin des mesures concrètes.
Signataires
Sylvie Bukhari de Pontual, Présidente du CCFD-Terre Solidaire
Morgane Créach, Directrice du Réseau Action Climat
Michel Dubromel, Président de France Nature Environnement
Cécile Duflot, Directrice générale d’Oxfam France
Jean-Baptiste Lebrun, Directeur du CLER – Réseau pour la transition énergétique
Gilliane Le Gallic, Présidente d’Alofa Tuvalu
Paulo-Serge Lopes, Président de Virage Energie
Loïs Mallet, président du REFEDD, Réseau français des étudiants pour le développement durable
Véronique Moreira, Présidente de WECF
Cécile Ostria, Directrice Générale de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme