Publié le 19.10.2018 par Amnesty International.
À la suite de notre enquête sur les armes françaises ayant servi à la répression en Égypte,le gouvernement français a réagi.
Lors de son audition au Sénat le 17 octobre 2018, la Ministre des Armées a affirmé que la France n’a fourni de l’armement qu’aux forces armées et donc au ministère de la Défense égyptien.
Elle a ajouté qu’il ne s’agissait pas d’armements destinés aux forces de sécurité.
Blindés au cœur de la répression
Depuis 2012, la France a réalisé des transferts de véhicules blindés Sherpa et MIDS à l’Égypte, alors que la répression de l’opposition sévissait déjà.
Une partie au moins des véhicules blindés vendus par la France au ministère de la Défense égyptien a été détournée au profit du ministère de l’Intérieur et utilisée dans le cadre de la répression.
Le détournement de ces matériels n'a nullement empêché la France de continuer à livrer à l’Égypte des véhicules blindés, au moins jusqu’en 2014. Dès l’année 2012, les risques de voir les futures livraisons de matériels français détournées et utilisées pour réprimer l’opposition étaient clairs et indiscutables.
Comme en témoignent de nombreuses photos et vidéos, les forces du ministère de l'Intérieur égyptien les ont utilisés pour réprimer et écraser toute contestation populaire, notamment lors du massacre de la place Rabaa qui a fait près de 1000 morts en une journée le 14 août 2013.
Ces véhicules blindés ont joué un rôle actif et évident dans la répression des civils. Il était de la responsabilité impérative de la France d’arrêter les transferts dès le début de la répression interne.
Non respect des engagements européens
Les autorités françaises doivent maintenant impérativement tirer les leçons de leur manque de responsabilité et reconnaitre, en accord avec leurs engagements internationaux, la nécessité de suspendre tout transfert dès qu’il existe un risque que les armes livrées puissent servir à commettre ou faciliter de graves atteintes aux droits humains.
La ministre des Armées a également indiqué que les matériels vendus l'ont été dans le respect de la décision du Conseil des Affaires étrangères de l’Union européenne du 21 août 2013 qui vise, selon l’interprétation qu’elle voudrait en proposer, à refuser l'exportation de matériel qui pourrait être utilisé par les forces de sécurité intérieure, pour assurer la répression des populations civiles.
Or contrairement à ce que qu’affirme la ministre des Armées, la décision du Conseil de l'UE ne s’applique pas uniquement aux forces de sécurité intérieure.
En effet, aux termes de celle-ci : « Les États membres ont décidé de suspendre les licences d'exportation vers l'Égypte de tous les équipements qui pourraient être utilisés à des fins de répression interne, de réévaluer les licences d'exportation des équipements couverts par la position commune 2008/944/PESC et de réexaminer l'assistance qu'ils apportent à l'Égypte dans le domaine de la sécurité. »
Ainsi, sont concernées tant les forces armées que les forces de sécurité intérieure.
Des grosses lacunes
Nous dénonçons par ailleurs les graves lacunes de la législation française.
Selon les informations récemment fournies par les autorités françaises, le véhicule blindé de maintien de l'ordre de type MIDS fourni par la France, destiné aux forces de sécurité et largement déployé par les forces du ministère de l'Intérieur égyptien, n’est pas soumis au contrôle à l'exportation des matériels de guerre ni à celui des biens à double usage.
Il n’existe aujourd’hui aucune information publique permettant d’affirmer que l’Égypte ne détournera plus de matériel militaire et de sécurité fourni par la France à des fins contraires au droit international relatif aux droits humains.