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sécurité nucléaire : jusqu’à maintenant, le facteur chance a été favorable

 Article de Global Change

« Rouge ! cria le croupier » (Dostoïevsky, Le Joueur).

"Les jeux de l’atome et du hasard" de Jean-Pierre Pharabod et Jean-Paul Schapira, publié en 1988 par Calmann-Levy, est le meilleur livre français que je connaisse sur la description et l’analyse des grands accidents nucléaires, avant celui de Fukushima.

Déjà les auteurs posaient la question suivante en sous-titre : « de tels accidents peuvent-ils survenir en France » ? Ils écrivaient dans leur introduction : « l’analyse de la succession des incidents qui jalonnent notre histoire nucléaire semble indiquer que nous avons eu de la chance – peut-être beaucoup de chance ».

Three Mile Island (TMI) : « s’il n’y a pas eu fusion totale et « syndrome chinois » (1), c’est essentiellement grâce au chef de quart de TMI-1 (2) venu, deux heures après le début de l’accident, assister ses collègues en difficulté, et qui a compris (en soulevant une étiquette qui masquait un voyant) que la vanne de décharge du pressuriseur ne s’était pas refermée... on peut dire sans trop s’avancer qu’en Pennsylvanie, le 28 mars 1979 au matin, on a eu de la chance... ».
Et de citer le rapport de l’IPSN (aujourd’hui IRSN) relatif à l’accident survenu sur le réacteur français Bugey 5 le 14 avril 1984 : « L’incident est d’une gravité, en ce qui concerne les sources électriques de puissance de la tranche, encore jamais rencontrée jusqu’ici sur les réacteurs français à eau pressurisée... Une défaillance supplémentaire sur cette voie (refus de démarrage du diesel, refus de couplage sur le tableau LHB (3), etc.) aurait donc conduit à une perte complète des alimentations électriques de puissance, situation hors dimensionnement ».

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Après avoir rappelé que la filière RBMK des réacteurs de Tchernobyl, développée en URSS depuis le début des années 1950, était « une filière rodée, performante et jugée très sûre », les auteurs présentent et analysent de la même façon la catastrophe du 26 avril 1986. Le cœur étant détruit, la masse radioactive risquerait de contaminer la nappe phréatique : « Une équipe de mineurs, que l’on fait venir spécialement, entreprend finalement la construction sous le réacteur d’un tunnel, véritable cocon que l’on remplit de béton pour l’isoler de la nappe phréatique ».
Dans son ouvrage récent « Maîtriser le nucléaire – Sortir du nucléaire après Fukushima », le professeur Jean-Louis Basdevant cite le professeur biélorusse Vassili Nesterenko : « Mon opinion est que nous avons frisé à Tchernobyl une explosion nucléaire. Si elle avait eu lieu, l’Europe serait devenue inhabitable ». Et Basdevant de conclure : « C’est pour cela que l’on peut avancer que si l’accident de Tchernobyl n’a pas été dramatiquement plus grave, c’est grâce au courage de quelques-uns, mais surtout grâce à la chance ».

L’accident de Fukushima, qui est loin d’être terminé, est lui aussi causé par la perte totale du refroidissement des réacteurs. C’est, au même titre que Tchernobyl, une catastrophe dont les effets se feront sentir longtemps et loin. Mais les habitants de Tokyo ont eu de la chance car, lors de l’explosion et de l’envoi massif de matières radioactives dans l’atmosphère, le vent soufflait vers l’ouest et l’océan Pacifique. S’il avait soufflé vers le sud, le « Japon était coupé en deux » (4) et il aurait fallu évacuer Tokyo. Jusqu’ici la chance, il n’y a pas d’autre mot, a permis que la piscine remplie de combustibles irradiés très radioactifs du réacteur 4, endommagée et située en hauteur, ne soit pas détruite par une secousse sismique ou un typhon.

Et la France ? Pharabod et Schapira concluaient le chapitre sur Tchernobyl par un avertissement : « Il faudra bien, nous semble-t-il, revoir les décisions (et la politique qui les sous-tend) qui ont conduit à implanter un nombre de plus en plus grand de centrales nucléaires sur l’ensemble de l’Europe et tout particulièrement en France, notamment près de zones à très fortes densités de population ».

Centrale du Blayais, 27 décembre 1999 : tempête et inondation, perte du réseau, dix heures pour récupérer le refroidissement normal du réacteur n°1. Le GSIEN écrit : « La crainte du bogue de l’an 2000 a heureusement aidé : les équipes avaient été entraînées et ont travaillé comme des chefs » (Monique Sené), et la marée était loin du niveau maximal (Bella Belbéoch). On a failli évacuer Bordeaux...

Qu’il s’agisse de l’occurrence d’un accident grave ou de l’ampleur de ses conséquences qui le transforme en catastrophe, le hasard apparaît toujours dans l’accumulation de défaillances ou d’agressions dans ces systèmes complexes que sont la machine elle-même et son environnement, humain et naturel.

Lorsque l’on sait que, pour les réacteurs nucléaires équipant toutes les centrales nucléaires françaises, les accidents graves n’ont pas été considérés lors de leur conception (5), on peut se convaincre de la nécessité et de l’urgence « d’aider la chance » en fermant le plus rapidement possible les réacteurs nucléaires (qui arrivent pour la plupart à la fin de la durée de fonctionnement initialement prévue) sur la base d’une analyse de risques multicritère, tenant compte notamment de la densité de la population environnante.

Bernard Laponche
Polytechnicien, Docteur ès Sciences en physique des réacteurs nucléaires, expert en politiques deBernard_Laponche.jpg l’énergie et de maîtrise de l’énergie, membre de l’association Global Chance.

Notes :
(1) Percement de la cuve et du béton du radier par le combustible fondu (corium) qui s’enfonce dans la terre.
(2) Le réacteur accidenté est TMI-2.
(3) Un des deux tableaux d’alimentation électrique de la centrale.
(4) Témoignage d’un représentant de l’IRSN.
(5) R&D relative aux accidents graves dans les réacteurs à eau pressurisée : bilan et perspectives, La Documentation française, janvier 2007. Rapport rédigé conjointement par l’IRSN et le CEA (Commissariat à l’énergie atomique).

Commentaires

  • S'il y avait eu une explosion nucléaire à Tchernobyl, l' Europe serait devenue inhabitable. Voilà ce que je comprends en lisant ce texte.

    C'est tout simplement épouvantable. Il faut absolument que cette assertion soit pris en compte par les dirigeants politiques et vérifiée par les scientifiques spécialisés en la matière.

    On ne peut pas en rester là.

    Daniel

  • Pour vous aider à appréhender le nucléaire en sortant un tout petit peu le nez de chez nous et en ayant une vision un peu élargi du monde et donc de l'impact de nos décisions, voici une petite note que vous pourrez relire sur un des sites français du ministère des affaires étrangères, ambafrance.

    On pourra s'intéresser ensuite différemment à la pertinence de nos débats franco-français sur pour ou contre la sortie du nucléaire ...

    "Les centrales nucléaires en Chine

    Au 5 juillet 2012 la Chine dispose d’un parc nucléaire de 15 réacteurs en exploitation représentant une puissance installée de 12.54 GW et réparti sur trois sites : Qinshan, Tianwan et Dayawan (rappelons que Dayawan et Ling’Ao sont un seul site). 28 réacteurs sont actuellement en construction soit 31.3GW dont deux EPR sur le site de Taishan dont la mise en service est prévue pour 2014. L’année 2011 a été marquée par la connexion au réseau de deux nouveaux réacteurs, l’U2 de Ling’Ao II et l’U4 de Qinshan II. L’U2 de Ling’Ao II est en exploitation commerciale depuis aôut 2011.

    Il est à noter que l’accident de Fukushima au Japon a stoppé pour le moment l’examen de nouveaux projets en Chine, cependant les chantiers en cours de construction n’ont pas été stoppés.

    Fort d’un développement rapide et ambitieux, l’électronucléaire chinois devrait voir son parc nucléaire être multiplié par 5 voire 6 d’ici 2020 pour atteindre entre 300 et 400 réacteurs à plus long terme."

  • Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima cela donne déjà une vision assez large du problème.
    L'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, la Suisse, l'Autriche, le Japon, l'Australie et d'autres pays ont décidé de sortir du nucléaire après un débat national, et le plus souvent suite à une des 3 catastrophes nucléaires citées ci-dessus.
    Faut-il attendre un accident majeur sur le sol national pour se poser la question de la pertinence de la poursuite du nucléaire civil en France ?

  • SORTONS DU NUCLEAIRE!!
    Au Japon 3 accidents grave en 9 ans, si de tels accidents peuvent arriver dans des pays très contrôlés comme le Japon, cela peut arriver en France et partout...
    Il n'y a pas que les accidents de centrales, il existe de nombreuses données sur les taux anormalement élevés de cancers et de leucémies dans les populations vivant à proximité de sites nucléaires ou des usines de retraitement..
    Ne continuons pas comme auparavant, PS s'il vous plait arrêtez le nucléaire. Vive le solaire....

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