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Qui sont les faucons de Moscou ?

Extraits de l'article du Monde diplomatique

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Les nationaux-patriotes partagent une aspiration commune : la reconstitution d’un État fort qui ferait la synthèse des périodes de l’histoire russe en alliant les valeurs traditionnelles et spirituelles de l’empire tsariste avec la puissance militaire et technologique de l’Union soviétique (3). Bien que ce groupe demeure dans l’opposition, une partie de ses idées est récupérée par le pouvoir lors du déclenchement de la guerre de Tchétchénie, en 1994. Le régime cherche alors à construire un nouveau patriotisme d’État autour de la lutte contre le séparatisme. En 1996, Eltsine crée une commission gouvernementale pour définir l’« idée nationale » de la Russie postsoviétique.

À la fin du siècle, plusieurs événements majeurs provoquent le rejet du libéralisme et de l’Occident ainsi que la montée du patriotisme au sein de l’opinion russe : la crise financière de 1998 et la dévaluation brutale du rouble, l’élargissement de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) à la Hongrie, à la Pologne et à la République tchèque, les bombardements de la Serbie par l’OTAN en 1999 sans mandat de l’Organisation des Nations unies (ONU) et la seconde guerre de Tchétchénie. Ce contexte favorise l’émergence d’une nouvelle génération d’intellectuels, les Jeunes Conservateurs. Nés dans les années 1970, ces nouveaux faucons russes n’éprouvent guère la nostalgie de l’Union soviétique qui caractérise leurs aînés nationaux-patriotes. Mais ces spécialistes de philosophie religieuse, du conservatisme politique et du nationalisme, formés à l’université d’État de Moscou (MGU), prolongent leur critique de la mondialisation et leur volonté de promouvoir la souveraineté de l’État russe avec son statut de grande puissance.

En politique, l’arrivée de M. Vladimir Poutine à la présidence en 2000 entérine un tournant conservateur. Ce dernier entend renforcer la centralisation de l’État et restaurer la « verticale du pouvoir ». À partir de 2004, le Kremlin contre-attaque sur le plan idéologique face aux « révolutions colorées » pro-occidentales dans l’espace postsoviétique. M. Vladislav Sourkov, le chef adjoint de l’administration présidentielle et l’idéologue en chef du parti au pouvoir, Russie unie, théorise, en 2006, le concept de « démocratie souveraine » pour justifier le caractère autoritaire de l’État. Douguine et Prokhanov sont conviés par le parti à donner des conférences aux mouvements de jeunesse progouvernementaux Nachi (« Les nôtres ») et Molodaïa Gvardia (« La jeune garde »). Leurs carrières décollent. Douguine est nommé professeur de philosophie à l’université de Moscou en 2006. Prokhanov devient l’invité fréquent des émissions de débat présentées par le fameux journaliste proche du pouvoir Vladimir Soloviev, sur la chaîne NTV (4). Les Jeunes Conservateurs, quant à eux, animent un groupe de réflexion au sein de Russie unie, le Club russe, chargé de formuler une réponse progouvernementale au nationalisme ethnique anti-Kremlin, qui a le vent en poupe.

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Plutôt que d’adhérer entièrement à un seul système idéologique, le régime autoritaire de M. Poutine repose alors encore sur le maintien d’une certaine flexibilité des choix politiques. Le changement de direction de l’administration présidentielle survenu après les élections législatives de septembre 2016 redonne du poids aux libéraux-démocrates. M. Viatcheslav Volodine, conservateur antioccidental radical et soutien informel du Club d’Izborsk, est transféré du poste de vice-directeur de l’administration présidentielle à celui, moins influent, de président de la Douma (Chambre basse du Parlement). Son successeur, M. Sergueï Kirienko, ancien premier ministre pendant la crise économique de 1998 et ancien directeur adjoint du groupe d’énergie nucléaire Rosatom (2005-2016), est plutôt associé aux élites libérales et technocratiques. Sous sa direction, le fonds de subventions présidentielles russes destinées à la société civile a décliné deux fois les demandes de financement du Club d’Izborsk.

À la suite de l’empoisonnement et de l’arrestation de l’opposant Alexeï Navalny à la fin de l’année 2020, les discours de M. Poutine laissent libre cours à une idéologie d’État de plus en plus ferme. Son article de juillet 2021 sur l’« unité historique des Russes et des Ukrainiens » reprend les thèses du Club d’Izborsk présentant l’Ukraine comme « produit de l’ère soviétique », gouvernée par des élites « complaisantes envers les néonazis » et élevant la russophobie au rang de « politique d’État ». Huit mois plus tard, le déclenchement de la guerre signe l’évolution du système politique russe. L’autoritarisme hybride, alliant des factions idéologiques plurielles, a laissé place à un régime hautement répressif imposant une culture d’État impérialiste et belliciste. Premier fidèle du Club d’Izborsk, l’ancien ministre de la culture Medinski est envoyé à la tête de la délégation russe chargée des négociations avec l’Ukraine.

Juliette Faure

Doctorante au Centre d’études et de recherches internationales (CERI), Sciences Po - Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

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