Depuis des années, le monde assiste à un crime contre l’humanité. Depuis des années, le régime chinois enferme dans des camps de concentration des millions d’êtres humains, juste parce qu’ils sont nés Ouïghours. Et depuis des années, la communauté internationale laisse faire. Les grands silences permettent les grands crimes et il est temps de briser le silence assourdissant qui entoure l’oppression du peuple ouïghour.
Une abolition forcée de soi
Stérilisations systématiques, avortements forcés, enfants éloignés des parents, récalcitrants condamnés à mort, femmes obligées de partager (littéralement) leur lit avec les émissaires du Parti Communiste Chinois, viols massifs : depuis la fin de 2016, la « région autonome du Xinjiang » est devenue l’autre nom de la négation de l’humanité de l’homme. Les raisons des déportations laissent percevoir la nature du système répressif mis en place sous l’autorité du Président Xi Jinping, l’homme qui exhorta ses cadres à être « sans pitié » avec les Ouïghours. Tu ne bois pas d’alcool ? Tu vas en camp. Tu envoies des vœux pour l’Aid ? Tu vas en camp. Tu lis le Coran ? Tu vas en camp. Tu téléphones à ta famille à l’étranger ? Tu vas en camp…
Et une fois dans les camps, les détenus doivent chaque matin participer à une cérémonie dans laquelle ils renoncent à leur langue, leur culture, leur religion – l’islam. Cette abolition de soi est le cœur de la politique de « rééducation » menée par le gouvernement chinois : renonce à ce que tu es comme peuple et, peut-être, alors survivras-tu comme individu.
Un trou noir universel
Les Ouïghours sont tombés dans une sorte de trou noir universel. Un trou noir légal en Chine : ces pratiques criminelles de l’Etat chinois échappent à tout cadre constitutionnel. Un trou noir dans les démocraties occidentales : les Ouïghours furent longtemps à peine mentionnés dans les échanges que nos leaders ont avec les dirigeants de Pékin. Trou noir dans le monde musulman : les dirigeants des pays dits musulmans ne font preuve d’aucune solidarité, quand ils ne soutiennent pas officiellement la répression chinoise, comme le Pakistan ou l’Arabie Saoudite. Trou noir dans notre débat public : rares sont les organisations humanistes à avoir fait activement campagne contre l’éradication de ce peuple dans nos universités ou sur nos écrans de télé.
De la parole aux actes !
Enfin les consciences se réveillent et les opinions publiques commencent à saisir l’ampleur des crimes commis dans le Xinjiang. Face à une telle terreur, la dénonciation est nécessaire et nous appelons toutes les consciences du monde à crier leur indignation. Mais la dénonciation n’est pas suffisante. L’Histoire récente – du génocide des Tutsi du Rwanda aux massacres de Syrie – nous a rappelé l’impuissance des mots comme « Plus jamais ça ! » s’ils ne sont pas suivis par des actes forts. Nous demandons donc des actes puissants. Et rapides.
Des exigences
Nous exigeons de nos gouvernements respectifs qu’ils instaurent au plus vite des sanctions ciblées contre les responsables chinois de la répression dans le Xinjiang. Il est impensable que nos pays n’engagent pas des poursuites contre des criminels contre l’humanité. C’est la seule façon de faire comprendre aux dirigeants de Pékin que nous sommes sérieux dans notre condamnation de leurs crimes.
Nous exigeons des 83 entreprises multinationales – de Nike à Zara, de Uniqlo à Apple – identifiées comme bénéficiant de la mise en esclavage des Ouïghours qu’elles cessent – immédiatement – toute coopération avec leurs fournisseurs chinois exploitant la main-d’œuvre forcée des déportés. Nous demandons aussi à nos représentants élus de passer au plus vite des lois rendant de telles complicités illégales et impossibles.
Nous exigeons des organisations internationales comme l’ONU qu’elles lancent des commissions d’enquête sur les crimes du Xinjiang et fassent tout – y compris menacer la Chine de sanctions – pour accéder aux camps. Il est urgent de briser le huis clos du Xinjiang.
Nous demandons enfin à nos Etats de mettre en place une politique d’aide et d’accueil spécifique pour les Ouïghours qui fuient l’enfer, de soutenir leurs efforts pour faire perdurer leur culture ou connaître leurs souffrances. Nous nous engageons quant à nous à nous tenir à leur côté et à devenir les voix des millions de sans-voix du Xinjiang.
Défendre la dignité
Agir pour les Ouïghours, c’est une manière de nous définir en tant que monde. De définir ce que nous sommes et ce que nous voulons être comme monde. Allons-nous laisser l’injustice et l’autoritarisme triompher ou saurons-nous trouver en nous les ressources nécessaires pour défendre la dignité et les libertés humaines ? Le temps est venu de nous mobiliser massivement partout sur la planète, dès ce samedi 3 octobre. Le temps est venu de relever la tête et d’agir pour les principes humanistes que nous prétendons porter. Le temps est venu de nous battre pour le droit d’un peuple à vivre.
*Signataires : Raphael Glucksmann, Député européen ; Reinhard Bütikofer, député européen ; Saskia Sassen, sociologue ; Judith Butler, philosophe ; Axel Honneth, philosophe ; Thomas Piketty, économiste ; Roberto Saviano, écrivain ; Arjun Appadurai, sociologue ;
Philip Pettit, philosophe ; Pierre Rosanvallon, historien ; Charles Taylor, philosophe ; Achille Mbembe, philosophe ; Leila Slimani, journaliste ; Asli Erdogan, romancière, journaliste, militante pour les droits humains ; Salman Rushdie, écrivain ; Michel Hazanavicius, réalisateur ; Gabriel Zucman, économiste ; Jacques Audiard, réalisateur ; Alain Mabanckou, écrivain ; Jesse Klaver, membre de la Seconde chambre des États-Généraux des Pays-Bas ; Paul Magnette, bourgmestre de Charleroi, président du PS (Belgique) ; Adrian Zenz, anthropologue ; Rebecca Zlotowski, scénariste ; Omar Sy, acteur ; Patrick Weil, politologue ; Kamel Daoud, écrivain ; Dilnur Reyhan, présidente de l’Institut Ouïghour D’Europe ; Nury Turkel, avocat spécialisé dans la défense des droits des Ouïghours.