A Bure (55), le projet Cigéo d’enfouissement de déchets radioactifs de haute et moyenne activité suit son cours : l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), qui porte le projet, s’apprête à déposer une demande de « Déclaration d’utilité publique ». C’est ensuite le gouvernement qui la validera, après enquête publique. Enfouir la quasi-totalité des déchets nucléaires français les plus dangereux sous un petit village de la Meuse, à environ 500 mètres de profondeur, peut-il réellement être considéré d’« utilité publique » ? Afin de permettre au gouvernement de prendre sa décision en connaissance de cause, France Nature Environnement apporte un nouvel élément au dossier.
Cigéo, c’est avant tout un projet hors normes, le plus Grand Projet Inutile et Imposé d’Europe
Hors normes par sa taille, puisque pour stocker 99,9 % de la radioactivité totale des déchets nucléaires produits par les centrales françaises, le réseau de galeries ferait 270 km de long : c’est plus que le métro parisien qui s’étend sur 219,9 km. Hors normes aussi par sa durée, certains déchets resteront dangereux durant 100 000 ans ! Il y a 100 000 ans, l'Homme commençait à se déplacer au-delà de l'Afrique. Où serons-nous dans 100 000 ans ? Ou même moins : des archéologues ont récemment découvert une cité datant de moins de 5 000 ans sur le site de Cigéo … qui avait été totalement oubliée.
Qui dit projet hors normes, dit précautions hors normes. Et pourtant. Alors que le projet est à l’étude depuis plus de 15 ans, de nombreux doutes demeurent, notamment sur la géologie du site choisi.
La couche d’argile censée contenir la radioactivité ne serait ni assez homogène, ni assez épaisse
Un sol imperméable, grâce à une couche d’argile homogène et assez épaisse ? C’est le postulat de l’Andra : la couche géologique qui entourerait les galeries est assez imperméable pour ralentir la diffusion de la radioactivité suffisamment longtemps, car elle serait constituée d’argile et d’une épaisseur convenable (soit 50 mètres minimum au-dessus et sous les galeries). Toutefois, les données des études montreraient une autre réalité. A partir de ces données, un bénévole de France Nature Environnement a réalisé une coupe géologique, à l’échelle, pour mieux se représenter le sous-sol dans lequel seraient enfouis les déchets nucléaires.
Loin d’être une argile homogène, il s’agirait plutôt d’un calcaire marneux cassant et présentant des fissures du fait de la présence notable et irrégulière de carbonates qui sont très solubles et peuvent réagir avec l’hydrogène dégagé par ces déchets. Les propriétés d’imperméabilité du sous-sol choisi seraient donc moindres, ce qui est d’autant plus problématique que les couches géologiques au-dessus et en dessous de cette couche contiennent beaucoup d’eau. Il y aurait par conséquent de forts risques d’infiltrations suivies de réactions en chaîne.
Outre sa nature, la couche géologique n’est pas horizontale, mais inclinée de 2% : c’est la conclusion à laquelle arrive France Nature Environnement en recoupant les données à disposition. Ainsi, à certains endroits, les galeries de stockage ne seraient pas entourées d’une couche suffisamment épaisse pour atteindre les 50 mètres de part et d’autre que l’Andra s’est elle-même fixés comme règle pour que le projet soit « sécurisé ». Les informations à notre disposition ne sont donc pas de nature à nous rassurer et semblent bien insuffisantes pour démontrer la faisabilité de ce projet. Le stockage sortirait des zones dites « favorables ».
« Une coupe géologique comme celle-ci fait partie des éléments indispensables pour s’assurer de la sécurité d’un projet d’enfouissement. L’Andra devrait réaliser une représentation en 3D du sous-sol pour vérifier son postulat avant de vouloir que Cigéo soit déclaré d’utilité publique. Cette coupe géologique met en exergue une inquiétude majeure de France Nature Environnement : la couche d’argile censée contenir la radioactivité ne semble ni assez homogène, ni assez épaisse pour éviter suffisamment la dispersion des éléments radioactifs ! » explique Arnaud Schwartz, président de France Nature Environnement.
L’abandon du projet est nécessaire
Risques d'incendie, failles sismiques, ventilation éternelle, transports… Au-delà des inquiétudes soulevées par la géologie du terrain choisi, France Nature Environnement alerte depuis plusieurs années sur les nombreuses questions entourant ce projet. En 2017 et 2018, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire et l’Autorité de Sûreté Nucléaire avaient par ailleurs demandé à l’Andra de revoir bon nombre d’aspects concernant la sécurité. En interne, l’Andra sait qu’il sera impossible d’apporter la preuve de la sûreté d’un tel stockage. Les retours d’expérience sur l'enfouissement en profondeur des déchets dangereux sont jonchés d'accidents aux conséquences graves, que ce soit à WIPP (Etats-Unis), Asse (Allemagne), ou encore Stocamine (Alsace).
« Le projet Cigéo a été chiffré de façon arbitraire par l’État à 25 milliards d’euros. L’Andra l’estimait à plus de 34 milliards… en faisant le parallèle avec les déboires techniques et financiers d’un autre projet nucléaire d’ampleur, l’EPR de Flamanville, on peut s’interroger sur son opportunité. D’autant plus dans un contexte de crise sanitaire qui a, une fois de plus, démontré la nécessité de mettre en œuvre un autre modèle social et environnemental. Car ce projet est aussi profondément anti-démocratique : qui voudrait habiter dans un territoire nucléarisé et militarisé à outrance, qui plus est près de la plus grosse poubelle nucléaire d’Europe ? » complète Arnaud Schwartz.
Pour France Nature Environnement, un abandon clair de ce projet doit être acté. Les études sur les alternatives à l’enfouissement doivent être engagées suite à une récente décision ministérielle sur la gestion de ces déchets radioactifs. Stopper le nucléaire est nécessaire pour éviter des déchets supplémentaires dont on ne sait que faire. France Nature Environnement demande donc à la Ministre de la Transition Écologique, Barbara Pompili, de refuser que l’Andra dépose la demande de déclaration d’utilité publique du projet Cigéo, d’autant plus que cette agence est en partie sous la tutelle de son Ministère.