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Urgence sanitaire, démocratie sous respirateur ?

Tribune de Malik Salemkour, président de la LDH

Le combat contre l’actuelle pandémie nécessite la mobilisation exceptionnelle de toutes les intelligences, de toutes les énergies, de toutes les solidarités. Il impose des démarches inédites en matière d’économie, de fiscalité, d’emploi et de couverture sociale. Il a conféré au gouvernement des pouvoirs d’exception d’une étendue jamais connue depuis 1961, ainsi du confinement et de la cessation d’un grand nombre d’activités industrielles, commerciales, d’enseignement, culturelles… Cette situation a mis en lumière l’état cruel d’impréparation dans lequel était notre pays, tant en termes de recherche, de matériels, d’organisation des services publics que de maîtrise politique.

Le moment viendra de tirer les leçons, éventuellement judiciaires, de cette situation, et de démêler l’écheveau des responsabilités entre décisions des pouvoirs publics et choix des entreprises multinationales. Il faudra revenir sur ce qui a conduit à l’absence de masques, aux bégaiements de l’exécutif ayant pourtant tous les moyens pour s’informer des progrès de la pandémie dans le monde, à des postures gouvernementales erratiques et anxiogènes.

Pour l’heure, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) salue le courage de toutes celles et ceux qui, pied à pied, affrontent les risques de la contagion dans les Ehpad, les hôpitaux, dans les services et les entreprises où le travail se poursuit, à domicile où le télé-enseignement côtoie, souvent avec difficulté, le télétravail. Cette situation dont rien n’indique le terme appelle une réflexion collective sur les errances du passé, sur les possibles du présent et sur ce que nous estimons, collectivement, souhaitable pour notre avenir commun.

Tout indique pourtant que le contexte difficile de la pandémie est mis à profit par l’exécutif et sa majorité pour mettre entre parenthèses notre démocratie et, avec elle, nos institutions.  Il est préoccupant de constater que – le confinement aidant – cela s’opère avec la molle complicité de la plupart des institutions en charge du respect du droit et des libertés fondamentales.

Quels sont les faits ? L’état d’urgence sanitaire (EUS) a été décrété le 23 mars 2020 pour deux mois par une loi qui y adjoint la possibilité de gouverner par ordonnances, y compris après la fin de l’EUS, dans de très nombreux domaines. 90 % des députés ont ainsi volontairement accepté l’abandon de leur responsabilité et de leur capacité effective de contrôle sur les lourdes décisions à venir. De fait, l’Assemblée nationale et le Sénat ne sont plus guère que des observateurs. Ils regardent passer le train des ordonnances. Ils peuvent recueillir les informations qu’on leur accorde mais n’ont aucune possibilité réelle d’intervention et moins encore d’amendement.

Faut-il s’en étonner ? Le Conseil constitutionnel, à la composition purement politique, a cautionné une violation de la procédure constitutionnelle qui lui permet de ne pas statuer, dès aujourd’hui, sur la validité de l’EUS. Le Conseil d’Etat a très largement renoncé à son rôle. Les recours engagés contre les ordonnances et autres actes administratifs de l’Etat, notamment par les associations de défense des droits comme la LDH, se heurtent à des motifs qui visent à ne pas critiquer les mesures gouvernementales que la même institution a aidé à mettre en place. L’état d’urgence, nous explique-t-on, justifierait les abus de droit. Et, de fait, les abus, grands et petits, suivent…

Dans les territoires, ce même état d’urgence a, de fait, créé une situation électorale inédite. Le processus de renouvellement des conseils municipaux a dû être abandonné au milieu du gué, après un premier tour dont les conditions de tenue singulières interrogent la sincérité du scrutin et, partant, la légitimité des élus. Le deuxième tour serait renvoyé au mieux à l’automne, voire à l’année prochaine. Pendant ce temps, des maires renouvelables ou déjà battus dirigent seuls leurs communes avec des pouvoirs exorbitants qui s’affichent parfois au grand jour. Des édiles en profitent pour se mettre en avant avec leur idéologie sécuritaire et décider des dispositions qui vont au-delà des restrictions déjà très lourdes décrétées par l’Etat. Dans ce contexte, les élus municipaux, les oppositions comme les nouvelles majorités sont très souvent tenus à l’écart des décisions prises en dehors de tout fonctionnement démocratique local normal alors qu’ils sont pour nombre d’entre eux les premiers à connaître les besoins de leurs concitoyens.

Ces abus, ces dérives de l’Etat de droit doivent être dénoncés. Ils sont à l’opposé de tout ce que notre pays connaît d’initiatives solidaires, des sacrifices consentis à un avenir meilleur, des attentes qui se développent sur les conditions de cet avenir, des débats qui les portent.

C’est d’une démocratie vivante dont nous avons besoin. Pas d’institutions sous respirateurs.

La puissance législative doit donc être rétablie pleinement. Le Parlement avec la diversité des forces politiques représentées doit rapidement retrouver ses prérogatives pleines et entières, avec une place renforcée aux oppositions parlementaires. Cela se fait dans d’autres pays d’Europe, cela doit se faire en France.

Le rôle et les modes de désignation du Conseil d’Etat ainsi que ceux du Conseil constitutionnel, leur place dans l’organisation juridique française devraient être profondément repensés, loin des actuels liens consanguins avec l’exécutif et le Parlement.

Il est urgent de donner leur pleine puissance, à tous les échelons administratifs et territoriaux du pays, à la délibération collective, aux contre-pouvoirs, institutionnels et citoyens, aux initiatives qui esquissent les alternatives dont nous avons besoin.

La démocratie à elle seule ne suffira pas à vaincre le virus. Mais il ne sera pas vaincu sans démocratie. Le combat sanitaire passe par la confiance, exclut l’arbitraire, appelle des pouvoirs équilibrés et contrôlés, où chacune et chacun puisse exercer pleinement sa citoyenneté. Aujourd’hui comme jamais auparavant, santé individuelle et collective sont inséparables de la construction d’une société de justice et de liberté. La démocratie en reste la marque et la garante, quelle que soit l’urgence. Il y a urgence à nous en souvenir, urgence à la faire vivre.

Paris, le 27 avril 2020

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Commentaires

  • Je ne comprends pas très bien,tant de critiques. Je peux avouer que je n'ai pas voté aux législatives pour le Député de la circonscription où je vis mais je pense que la France se bat contre le virus mortel le mieux qu'elle le peut.

    Je ne vois pas non plus en quoi la démocratie serait, si je traduis bien, bafouée en ces temps de difficultés sanitaires.

    Daniel

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