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Tribune de Michel Tubiana « Dénoncer l’islamophobie ne suffit pas »

Publiée sur Mediapart.

Si la LDH a décidé de participer à la manifestation du 10 novembre 2019 contre l’islamophobie, elle n’a pas signé le texte d’appel à la manifestation et a rédigé son propre appel[1]. Et il semble bien qu’elle ne soit pas la seule à avoir des réserves, non sur le principe même de l’expression d’une solidarité avec les musulmans de France, mais sur la réponse à apporter au déferlement de haine ou, et c’est peut-être pire, au déni qui les atteint. Je n’évoque pas ici celles et ceux qui se réfugient derrière l’emploi du mot « islamophobie ». Avec sa polysémie et ses ambiguïtés, le mot est passé dans le langage courant comme l’intitulé d’une manifestation de racisme dont, le plus souvent, refuser de l’employer revient à nier ce dernier. Je ne m’attarderai pas non plus sur les accusations de « communautarisme ». Accuse-t-on le CRIF de « communautarisme » lorsqu’il appelle, à juste titre, à des manifestations contre l’antisémitisme en y mêlant un soutien bêlant et déplacé à la politique des autorités israéliennes ? Et quant à dénoncer un quelconque consentement au « communautarisme », celui-ci désignant des droits qui dépendraient de l’appartenance ou de la non appartenance à une communauté, cela relève de la même logique et de la même instrumentalisation que l’affabulation du « grand remplacement » . La laïcité des institutions, et non de la société, nous garantit contre ce type de dévoiement.

Ce qui nous a conduit à ne pas signer cet appel, en dehors de modalités de sa rédaction (il n’est jamais bon de tenter d’imposer un partenariat…), c’est au fond ce qui fait débat depuis la publication en janvier 2005 de l’appel des indigènes de la République. Nous pouvons largement partager le constat du racisme subi, y compris dans ses mécanismes de nature coloniale et post-coloniale. Nous entendons parfaitement le besoin de celles et ceux qui subissent cette intersectionnalité des discriminations de s’organiser et de s’exprimer de manière autonome.

Nous réfutons l’idée selon laquelle la lutte contre le racisme devrait dépendre de chacune des victimes ou de leur représentation souvent auto proclamée. A cette aune, ce qui devient l’objet du combat anti-raciste, c’est la défense des intérêts de chaque « communauté » de victimes et non le racisme lui-même dans sa logique à la fois spécifique mais aussi comme phénomène d’ensemble qui touche toute la société qu’on en soit victime ou non. Il s’en suit une forme de concurrence généralisée, de la mémoire des crimes à la solidarité fragmentée et inégale. On ne lutte pas contre l’islamophobie en oubliant les autres expressions du racisme. A défaut on s’expose au risque de ne mobiliser qu’une partie de la société alors que cette gangrène l’atteint toute entière. C’est parce que cette dimension est absente de l’appel à la manifestation du 10 novembre que la LDH a refusé de le signer.

La LDH est une trop ancienne association pour ignorer ce que l’universel d’un antiracisme abstrait peut avoir de frustratoire. Pour être crédible, le « nous sommes tous frères » a besoin de s’ancrer dans la réalité des actes et donc tenir compte des spécificités et des origines de chaque souffrance. Sinon, il devient le paravent d’une impuissance voulue ou subie. Dans tous les cas une invalidation de la lutte contre le racisme. L’attitude pouvoirs publics est, à cet égard, le parfait exemple de cet antiracisme proclamé en même temps qu’il n’a cessé de renforcer le sentiment que toutes les victimes ne se valent pas. Et l’absence du Ministre de l’Intérieur à Bayonne n’en est que le dernier exemple…

C’est donc parce que nous avons conscience de ce traitement inégal, des dangers immenses qu’impliquent une société de surveillance et le soupçon généralisé à l’égard d’une partie de la population en raison de ses origines ou de sa foi, que nous participerons à cette manifestation. Pour partager une émotion justifiée et manifestement méprisée. Pour dire aussi que c’est contre toutes les formes de racisme que nous serons présents.

 

Michel TUBIANA

Président d’honneur de la LDH

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