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Récit d’une jeunesse géorgienne en résistance

Article publié par Amnesty International le 28.11.2025

À seulement 23 ans, elle se bat sans relâche pour défendre ses droits. Comme des milliers d’autres jeunes, Mariam Japaridze participe aux mobilisations pro-européennes d’ampleur qui secouent la Géorgie depuis un an. Depuis la suspension du processus d’adhésion du pays à l’Union européenne par les autorités géorgiennes, le 28 novembre 2024, elle s’empare des rues de la capitale chaque nuit pour faire entendre sa voix. Elle raconte ici la violence de la répression et le courage de sa génération qui résiste, envers et contre tout, pour un avenir meilleur.  

26 octobre 2024. Les résultats des élections législatives tombent. C’est le parti au pouvoir réputé pour ses positionnements pro-russes, Rêve géorgien, qui remporte la victoire, avec 53,93% des voix. L’opposition dénonce des élections frauduleuses et les dérives autoritaires du parti. Mais les accusations sont très vites balayées d’un revers de la main par les autorités, et la victoire confirmée.   

Un mois plus tard, le parti annonce la suspension des négociations d’adhésion du pays à l’Union européenne. Pour une grande majorité de la population de cette ancienne république soviétique du Caucase, l’annonce ne passe pas. Depuis des décennies, l’ombre du voisin russe plane sur le pays comme une épée de Damoclès.  

Mariam Japaridze a 21 ans lorsque les premières grandes mobilisations pro-européennes éclatent dans le pays. Depuis son plus jeune âge, elle milite dans sa petite ville natale de l’ouest de la Géorgie sur divers enjeux aussi bien sociaux, économiques qu’écologiques. Pour elle, l’annonce marque la fin d’un espoir pour l’avenir de son pays.  

Alors, la nuit du 28 novembre 2024, comme des milliers d’autres, Mariam s’empare des rues de Tbilissi, la capitale, pour faire entendre sa voix et celle de sa génération. Une nuit qui marquera le début d’une mobilisation sans relâche durant douze longs mois consécutifs, pour elle et toute une jeunesse. Voici son récit.  

J’ai été intoxiquée à des substances chimiques   

La nuit du 28 novembre, c’était une évidence pour moi : il fallait que je descende dans la rue. Je devais défendre ce en quoi je crois : les valeurs démocratiques, et derrière cela, nos libertés et nos droits fondamentaux. Alors pendant cette soirée, avec mes amis, nous avons porté haut et fort les couleurs de notre pays et celle de l’Union européenne. 

Je savais que la police risquait d’être brutale. Cela avait déjà été le cas par le passé. Mais je ne m’attendais pas à un tel déferlement de violence de la part des forces de l’ordre. Et la répression s’est encore intensifiée par la suite. 

Malgré cette violence, malgré mes craintes, je suis retournée dans les rues tous les soirs. En décembre, alors que je participais à un rassemblement pacifique à Tbilissi, les forces de l’ordre nous ont attaqués. Des gaz chimiques pleuvaient de partout, y compris depuis les toits des bâtiments. Dans les rues étroites de la ville, il était très difficile de s’orienter et quasiment impossible de s’enfuir. J’étais horrifiée.  

Alors que j’intervenais moi-même au sein d’un groupe de premiers secours avec d'autres jeunes bénévoles, j’ai été intoxiquée par des substances chimiques. Parce que je souffre d’asthme allergique, j’ai dû bénéficier de soins intensifs. Je sais que beaucoup de personnes ont encore aujourd’hui de graves problèmes de santé à cause de ces substances - dont on ignore toujours la composition. 

Toute la nuit, mes amis et moi avons tenté d’échapper à la police anti-émeute. J’avais très peur : j’ai vu des personnes se faire arrêter et d’autres se faire tabasser. L’un de mes amis a été complètement défiguré par les forces de l’ordre, avant d'être emmené en détention.

Jusqu’au lendemain, j'étais sans nouvelle. Je m’inquiétais terriblement pour lui. Et nous étions des centaines dans ce cas : plongés dans l'attente, sans aucune information sur le lieu de détention de nos proches. Ce n'est qu’après 48 longues de détention qu’ils l’ont enfin libéré. J'étais tellement soulagée de savoir enfin où il se trouvait. Mais à cause des violences qu'il avait subies, il dû être opéré d’urgence. 

Après cela, j'ai été terriblement en colère. Ils pensaient certainement qu’on ne descendrait plus dans les rues. Mais ça n’a pas été le cas. Pour nous, cela devenait d’autant plus clair que nous faisions face à un gouvernement russe à Tbilissi.  

Mises à nu pour avoir protesté 

Pendant les manifestations, j’ai assisté à énormément de violences de la police à l’encontre des femmes. Ils nous ciblaient, spécifiquement parce que nous étions des femmes. L’une de mes amies a été menacée de viol et battue si violemment, qu’elle en a perdu connaissance. La police pensait qu'elle était morte. Et ils l’ont laissée comme cela à terre, au coin de la rue, sans lui apporter aucune aide. 

J’ai entendu tellement d’histoires de femmes, forcées de se dénuder pendant les fouilles et de se mettre à genou. Cela ne m’est pas arrivée, mais j’imagine l’humiliation qu’elles ont subies. Surtout lorsqu’on sait qu’en face, la majorité sont des hommes. J’ai aussi entendu parler de femmes qui avaient été trainées au sol par les cheveux.  

Et cela ne nous arrive pas seulement en manifestation, mais aussi dans les cours de justice lorsque nous venions soutenir des détenus. En juin, alors que je venais assister à un procès, des hommes m’ont poussée dans la foule, frappée et se sont tenus debout sur moi. J’ai eu tellement peur que j’aie été prise d’une attaque de panique. J’en ai perdu connaissance. Comme souvent, ils ne portaient pas d’uniforme. Après cela, je n’ai plus pu marcher pendant une semaine.  

Je crois que parfois, mon esprit essaye d’effacer ces souvenirs. Parce qu’ils sont traumatisants. N'est-ce pas ironique, d’être traité de cette sorte, dans des lieux censés représenter la justice ?

Malgré les attaques, malgré la violence, nous les femmes, nous n’avons pas peur. Nous sommes sur les lignes de front des manifestations, nous portons les couleurs de la Géorgie et nous défendons ardemment les valeurs de l’UE.  

On se bat pour l’avenir de notre pays 

En 2023, il y avait eu une première vague de manifestations contre la loi russe. Je m'étais engagée dans le mouvement « Étudiants Contre la Loi russe », qui regroupait plusieurs universités. Unis, nous avions réussi à obtenir le retrait de la proposition de loi. Une belle victoire !   

Lors des manifestations qui ont débuté en novembre 2024, j’ai eu tant d’admiration pour tous ceux qui osaient se lever, s’affirmer et prendre la parole devant des centaines de milliers de personnes. Je trouvais qu'ils portaient des idées brillantes pour faire progresser la démocratie, pour tendre vers une société plus égales et combattre l’influence russe.  

Intégrer l’Union européenne ne se résume pas simplement à des avantages économiques. Pour moi, cela va de pair avec une vie plus sûre et un pays davantage prospère. Nous demandons aussi la mise en place de nouvelles élections sous la coordination internationale, la libération de tous les prisonniers et des sanctions contre les membres du parti du rêve géorgien. Enfin, nos demandes sont aussi sociales : des retraites pour les personnes âgées, de meilleures conditions de travail, etc. 

Debout, envers et contre tout 

Malgré la violence de la répression, nous avons porté la mobilisation avec un immense courage. Aujourd’hui, une grande partie des prisonniers politiques sont des jeunes de mon âge. La plupart ont été condamnés à de lourdes peines de 5 ou 6 ans de prison. Je trouve cela tellement injuste : les fondements pour ces peines démesurées sont ridicules.

Nous avons subi des pressions considérables, notamment au sein de nos universités. Nos familles aussi en ont fait les frais. Des amis m'ont raconté que les autorités étaient venues toquer à leurs portes, brandissant des photos de nous durant des manifestations et menaçant leurs parents qu’ils perdraient leur emploi si nous n’arrêtions pas de protester. Je sais que beaucoup d'entre nous se sont démobilisés, par craintes de représailles et sous le coup des menaces.  

Pourquoi cet acharnement ? Je pense qu’ils savent que nous sommes non seulement éduqués, mais que nous avons aussi la capacité de construire un avenir meilleur pour notre pays. Même en prison, nous continuons de nous mobiliser. Certains écrivent des journaux que leurs parents impriment et diffusent dans le pays, jusqu’aux régions plus reculées.   

Aujourd'hui, je suis émotionnellement et physiquement épuisée. Depuis un an, je suis dans les rues chaque soir. C'est extrêmement exigent. J'ai subi des pressions psychologique et physique énormes. C’est pourquoi j’ai choisi de me mettre en retrait de la rue pour un temps. Et de continuer de me mobiliser à travers les réseaux sociaux.  

Mais les manifestations ont désormais gagné l’ensemble du pays. Ce n’est pas la première fois que l'on tente de se libérer de l’influence russe. Ici, la mémoire collective est extrêmement forte : nous avons connu deux guerres et la révolution des roses en 2003.  

J’ai conscience que ce combat peut prendre des années, mais je vois que nous sommes de plus en plus nombreux à souhaiter un changement pour notre pays. Cela me donne la force d’avancer. J’ai donc beaucoup d’espoir pour la Géorgie. 

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Des manifestants pro-européens lors d'une manifestation contre le report par le gouvernement des négociations d'adhésion à l'Union européenne jusqu'en 2028, devant le Parlement dans le centre de Tbilissi, en Géorgie, le 11 décembre 2024. © Jerome Gilles / Nurphoto 

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