Comme dans de nombreux conflits, en Ukraine, les femmes se retrouvent en première ligne de la guerre et des souffrances infligées dans son sillage. Voici les témoignages poignants que nous avons recueillis sur la situation des femmes depuis le début de l’invasion russe à grande échelle de l’Ukraine.
Les femmes sont les plus touchées par la brutalité de la guerre. Elles sont toujours en première ligne des conflits – en tant que soldates et combattantes, médecins et infirmières, bénévoles, militantes pour la paix, aidantes au sein de leurs communautés et de leurs familles, personnes déplacées à l'intérieur de leur pays, réfugiées et, trop souvent, victimes et survivantes. L’invasion totale de la Russie en Ukraine n’échappe pas à la règle.
Alors que le conflit en Ukraine entre dans sa deuxième année, chaque jour, les femmes doivent faire face, seules, à des situations de vie et de mort. Elles sont confrontées aux violences sexuelles et liées au genre. Elles souffrent des pénuries, du manque de ressources et d’accès aux soins pour elle et leur famille. Trop souvent placées en position de victimes ou de survivantes, elles sont exclues des processus décisionnels.
Voici les témoignages poignants de femmes en Ukraine que nous avons recueillis.
« Il n’y a personne d’autre pour prendre soin d’eux à part moi »
Si de nombreuses femmes en Ukraine rejoignent la résistance à la guerre d’agression que mène la Russie, très souvent, les responsabilités liées à la prise en charge des enfants et des membres de la famille leur incombent. Ce qui s’avère particulièrement difficile.
Tamara*, une femme qui vit dans la zone de conflit dans l’oblast de Donetsk, raconte comment l’invasion l’affecte en tant que mère mais aussi en tant que fille, puisqu'’elle s’occupe de ses parents : « Tout a empiré. Les hommes [de la famille] sont à la guerre, les femmes se retrouvent seules, souvent avec de jeunes enfants à s’occuper et sans aucun revenu. Il n'y a pas d'aide – aucune aide physique ni financière. »
Contrainte de choisir entre abandonner ses parents et mettre ses enfants en sécurité, Tamara s’est retrouvée face à un dilemme impossible.
Je suis revenue dans la zone de risque avec mes enfants. Peut-être n’aurais-je pas dû. Mais je dois prendre soin de mes enfants et mes parents âgés étaient restés à la maison – c’est mon devoir. Il n’y a personne d’autre pour prendre soin d’eux à part moi. Je n’ai pas le choix
Tamara*, une femme qui vit dans la zone de conflit dans l’oblast de Donetsk
Pour de nombreuses femmes, partir en quête de sécurité a un impact émotionnel et physique dévastateur.
Maryna*, déplacée à l’intérieur du pays, a fui avec ses enfants l’occupation de l’oblast de Donetsk par la Russie : « C’est très dur. Je suis seule avec trois enfants. Personne ne pensait que la guerre allait arriver. Ce fut un choc et c’était terrifiant. De violents combats faisaient rage tout autour de nous, et nous avons entendu tout cela. Les avions militaires russes volaient si bas que nous pouvions voir les yeux des pilotes – cela a beaucoup marqué les enfants.
Nous avons vécu dans un sous-sol pendant près d’un mois, parce que les enfants étaient réellement terrifiés. Ma fille ne pouvait plus dormir dans la maison. Mes enfants sont en grande détresse psychologique et émotionnelle. Généralement, on ne peut se sentir en sécurité nulle part, à cause des bombardements et des alertes aériennes.
Maryna*, déplacée à l’intérieur du pays
L’accès aux soins gravement limité
Les attaques russes répétées contre des infrastructures civiles essentielles, qui s’apparentent à des crimes de guerre, limitent gravement l’accès aux soins de santé pour les personnes vivant en Ukraine et notamment pour les femmes.
Kateryna*, était enceinte de neuf semaines et vivait dans l’oblast de Donetsk lorsque l’invasion a débuté : « Il y avait des rumeurs au sujet de l'évacuation et du départ des médecins. Je n’ai pas pu passer d'échographie ni faire tous les tests. C’était tout simplement impossible de s’y rendre. » Kateryna s’est enfuie à Dniepr et a dû constamment lutter pour s'occuper d'un nouveau-né tout en travaillant dans une zone de conflit : « [La] ligne de front se rapproche de notre ville. Le fait de ne pas savoir, c’est le plus terrifiant. Où serez-vous demain ? Pourrez-vous rentrer à la maison ? Je n’ai pas de soutien psychologique. »
Les femmes et les jeunes filles en période de menstruation quant à elles, doivent parfois choisir entre denrées alimentaires et produits sanitaires. En cause : l'approvisionnement limité et de la hausse des prix des produits menstruels.
On trouve des serviettes et des tampons à vendre, mais à cause des problèmes financiers, je dois choisir si j’achète à manger ou des serviettes. Depuis le début de l'invasion à grande échelle, j'utilise des moyens improvisés.
Tamara
Hausse des violences sexuelles et liées au genre
Les violences liées au genre s’aggravent et s’intensifient pour les personnes qui vivent dans les régions touchées par le conflit, et ce pour de nombreuses raisons, dont le manque de sécurité, l’absence ou l’érosion de l’état de droit, l'impunité généralisée pour les auteurs, le manque de confiance dans les autorités d'occupation, ainsi que la stigmatisation liée au fait de raconter des expériences de violence sexuelle et liée au genre.
Les violences sexuelles sont un immense problème pour les femmes. J’ai participé à des formations et on nous a dit que dans certains cas, les enfants, [eux aussi], ont montré après l’évacuation des signes indiquant qu’ils avaient subi des atteintes sexuelles.
Maryna*, travailleuse humanitaire
Alors qu'elle travaillait dans un point de rassemblement pour personnes déplacées, Maryna a été témoin de l’escalade de la violence familiale : « Environ 60 personnes vivaient dans un gymnase. Je travaillais déjà sur cette question auparavant, mais même sans mon expérience, [les signes de violence] sont visibles à l'œil nu. J'en ai observé beaucoup là-bas. »
Je me sens plus vulnérable aujourd’hui. Les conflits à la maison sont plus fréquents. L'agressivité de mon mari s'est déversée sur moi et mon aîné. Je ne peux pas laisser mes enfants avec mon époux à cause de l'incertitude qui règne tout au long de la journée. Il a perdu son emploi et il est submergé par l'émotion et la nervosité.
Kateryna
En tant que mère, Tamara est très inquiète face à ces signalements de violences sexuelles et liées au genre : « J’entends constamment parler de violence, et j’ai vraiment peur. J’ai des filles, c’est terrifiant. J’ai envoyé mes aînées étudier dans une zone sûre, mais je m’inquiète tout le temps pour elles. »
*Les noms ont été modifiés pour protéger l’identité de ces femmes.
© Beata Zawrzel/Nur Photo via Getty Images