Désormais, le Traité sur l'interdiction des armes nucléaires rend les armes nucléaires illégales. Un traité que plusieurs puissances mondiales rejettent.
Le 22 janvier 2021 restera une date historique : un traité multilatéral, le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), adopté par les deux tiers des pays membres de l’ONU en 2017, entre en vigueur et rend les armes nucléaires illégales, que ce soit leur possession, leur fabrication, ou la menace de leur utilisation, c’est-à-dire la stratégie de dissuasion nucléaire. Le TIAN comble un vide juridique et complète l’interdiction des autres armes de destruction massive, biologiques et chimiques, ainsi que de certaines armes classiques condamnées pour leur impact sur les civils. Il aura des effets même sur les pays qui le rejettent. La France, qui s’est toujours voulue le pays porteur des valeurs de respect du droit international, ne doit pas tourner le dos à ce processus de démocratie internationale et doit adhérer au TIAN.
Cet accord est le résultat de dizaines d’années d’efforts persévérants de la société civile, à travers des organisations dont de nombreuses ont été regroupées au sein de la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires (ICAN), lauréate du prix Nobel de la paix 2017, et le Comité international de la Croix-Rouge, en convergence avec plusieurs Etats, dont le Saint-Siège, l’Afrique du Sud (ancienne puissance nucléaire) et la Nouvelle-Zélande.
Les organisations, gouvernements, Eglises, syndicats qui soutiennent l’interdiction des armes nucléaires n’ont pas agi seulement par frustration à l’égard des détenteurs d’arsenaux qui n’ont pas tenu leurs engagements, pris notamment dans le cadre du Traité sur la non-prolifération nucléaire (TNP). Le TIAN concrétise le rejet d’un système verrouillé par le veto de ces quelques pays et d’un système de sécurité fondé sur la capacité de perpétrer des massacres de masse de civils.
Les puissances nucléaires, dont la France, ont beau déclarer que le TIAN ne leur imposera aucune obligation, elles ne pourront plus désormais affirmer que leurs armes nucléaires sont légitimes. Elles se comportent comme si le TNP leur accordait indéfiniment un droit de possession et de recours à l’arme nucléaire, en contradiction avec l’esprit et le texte de ce traité. Ainsi tentent-elles de justifier l’injustifiable, à savoir les programmes de modernisation et de renouvellement de leurs arsenaux nucléaires, étalés encore sur plusieurs décennies à coup de centaines de milliards d’euros. Pourtant, l’article VI du TNP leur fait bien – depuis un demi-siècle – obligation de négocier en vue de « la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée » et d’un « traité de désarmement général et complet » !
Les autorités françaises, comme celles des autres puissances nucléaires, affirment de manière contradictoire que la dissuasion nucléaire exclut tout recours à l’arme nucléaire, alors même qu’elles incluent dans leur doctrine des scénarios d’emploi de l’arme atomique (le « dernier avertissement ») et investissent dans de nouveaux types d'armes nucléaires plus « utilisables », qui abaissent dangereusement le seuil de la guerre nucléaire.
Les puissances nucléaires affirment que la seule solution réaliste vers le désarmement consiste à cheminer « étape par étape », et fixent comme objectif prioritaire la non-prolifération. En fait, toutes les mesures en discussion (interdiction des essais nucléaires ou de la production de matières fissiles militaires, réduction des arsenaux, non-emploi en premier, etc.) sont actuellement bloquées par ces mêmes puissances. De plus, en continuant d’affirmer que l’arme nucléaire est la garantie ultime de leur sécurité, elles la rendent encore plus attrayante et elles favorisent la prolifération qu’elles prétendent combattre.
Le Président de la République doit sortir de trois contradictions dans lesquelles il s’est enfermé :
il a fustigé le « désarmement unilatéral », tout en s’enorgueillissant des mesures de réduction que la France avait prises unilatéralement depuis la fin de la Guerre froide ;
il prône le multilatéralisme, tout en rejetant les aspirations d’une majorité d’Etats, dont des membres de l‘Union européenne ;
il entend inscrire la protection de l’environnement dans la Constitution alors qu’une guerre nucléaire, même limitée, serait un crime d’écocide compte tenu de ses conséquences catastrophiques sur la planète, ses habitants et les générations futures, ainsi que l’ont démontré plus de 2000 essais nucléaires dont les effets sanitaires et environnementaux se font aujourd’hui encore ressentir sur les populations concernées.
Il est donc grand temps, trois quarts de siècle après l’horreur d’Hiroshima et de Nagasaki, que la France se joigne au mouvement mondial pour l’élimination progressive et multilatérale des armes nucléaires en adhérant au TIAN. La France contribuera ainsi, comme elle l’a déjà fait pour les autres armes de destruction massive, à l’élimination de l’arme la plus destructrice inventée par l’être humain.