Alors que la lecture du projet de Loi d’Orientation des Mobilités débute à l’assemblée nationale, France Nature Environnement s'associe à plusieurs associations de protection de l’environnement et de santé publique, ainsi que des collectifs de médecins et chercheurs, pour demander à l'Etat de ne plus subventionner le désastre écologique et sanitaire qu'est le transport routier de marchandises. Dans une lettre ouverte envoyée ce jour, nos associations et collectifs en appellent au président de la République : en son état actuel, le projet de loi ne prévoit pas de remettre en cause les avantages fiscaux accordés au transport routier et reste muet sur le principe d’application d’une redevance kilométrique pour les poids lourds. Il est encore temps de parfaire cette loi et de répondre plus précisément aux attentes des français en matière de protection du climat et de la santé, ainsi que d'équité fiscale.
Monsieur le Président de la République,
Le secteur des transports est le premier émetteur de polluants et de gaz à effets de serre. Le nombre de camions en circulation ne cesse de croître avec un impact grave sur la santé des Français et leurs finances à un double titre : la prise en charge par la collectivité des impacts négatifs sur la santé liés aux pollutions générées par le trafic routier d’une part et, d’autre part, l’entretien de routes toujours plus abîmées à mesure que le nombre de camions augmente.
Malgré votre appel le 25 avril dernier à mettre le climat « au cœur du projet national et européen », et malgré les nombreuses interpellations de France Nature Environnement et de nombreux autres acteurs lors – entre autres – des Assises de la Mobilité, la remise en cause de la logique du tout routier n’est pas à l’ordre du jour. Alors que l’Assemblée Nationale entame en ce début juin l’examen de la Loi d’orientation des mobilités, aucune disposition n’aborde le trafic routier de marchandises ni ses coûts induits pour nos concitoyens.
Difficile pour nous de comprendre une telle lacune pour un texte supposé mettre en cohérence nos politiques de transports avec nos engagements climatiques, tels que définis dans l’Accord de Paris pour lequel la France s’est ardemment battue. Afin d’inverser la tendance, voici nos propositions.
Mettre fin aux exonérations fiscales dont bénéficie le transport routier
En 2017, 7,6 milliards d’euros de ristournes fiscales ont été accordées au gazole professionnel de différents secteurs économiques, dont le transport routier de marchandises, soit 25% d’exemptions ou de remboursement de taxes sur les carburants.
Il est également utile de rappeler que depuis 2016, le transport routier de marchandises est exempté de l’augmentation de la Contribution Climat Énergie, représentant environ 1 milliard d’euros d’exonération fiscale supplémentaire par an. Ce mode de transport n'apparaît ainsi compétitif qu’en raison des nombreux artifices qui faussent les systèmes de prix et de concurrence.
Cette situation nous interpelle. Une telle iniquité fiscale vis-à-vis des automobilistes, auxquels il est légitimement demandé de contribuer au financement de la transition écologique, n’est plus acceptable. Par ailleurs, alors que vous avez exprimé le souhait de faire de la lutte contre le dérèglement climatique un enjeu majeur de votre quinquennat, les subventions aux énergies fossiles que constituent ces exonérations pour les professionnels ne sont, là aussi, plus justifiables.
De surcroît, l’Etat se prive sciemment de recettes qui pourraient permettre le financement de moyens de transports plus vertueux tels que le fret ferroviaire, dont la part en France ne cesse de chuter, ou le fluvial. En 2017, seulement 9 % des marchandises étaient transportées par le rail, contre 20 % en 1990.
La fragilité du secteur du transport routier, en particulier des PME et TPE, s’explique davantage par les politiques de dumping social exercées au sein de l’Union européenne que par la fiscalité écologique. Il n’est donc ni légitime ni juste de faire de celle-ci une variable d’ajustement pour sauver le secteur. D’autres pistes de soutien à nos petites et moyennes entreprises de transports, pourraient être envisagées et déployées.
Expérimenter la redevance kilométrique pour les poids lourds
Éviter le recours systématique au tout camion nécessite également la mise en œuvre progressive d’une redevance kilométrique à destination des poids lourds pour que les transporteurs contribuent à leur juste part dans la dégradation de nos routes, y compris secondaires. Elle est un des outils dont la France a besoin pour engager une transition écologique concrète et efficace dans ses politiques de transports de marchandises. L’inscrire dans la loi, comme cela était le cas dans la loi “Grenelle I”, est indispensable.
Nous sommes conscients du naufrage de l’écotaxe de 2013. C’est pourquoi nous appelons à une entrée en vigueur échelonnée dans le temps, pilotée par les Régions souhaitant l’expérimenter, qui leur assurera à terme, une ressource pérenne et dynamique pour assumer les compétences de transports qui leur ont été pleinement déléguées. Les pays européens qui ont déjà mis en place une redevance poids lourds ont systématiquement affecté une partie importante des recettes financières à la rénovation du réseau routier.
Monsieur le Président de la République, l’enjeu est vital et les solutions existent. Loin d’être irréversible, la priorité au routier peut être freinée, puis inversée au profit de modes de transport plus vertueux pour la santé publique, la biodiversité et le climat. La loi d’orientation des mobilités, qui intervient près de quarante ans après la dernière loi régissant nos politiques de transports, doit être le levier de cette réorientation.
Pour cela, Monsieur le Président de la République, cette loi doit traduire votre principe d’écologie de l’action. Le scandale écologique que constituent les subventions directes ou indirectes aux énergies fossiles et au trafic routier de marchandises, les difficultés que le tout camion pose au quotidien en termes d’aménagement du territoire, de sécurité routière et de financement des infrastructures, appellent des réponses économiques, sociales et environnementales de fond qui ne peuvent plus être reportées à demain. Il est temps de prendre les mesures qui s’imposent pour donner corps à votre souhait de garder notre “Terre habitable”.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre très haute considération.
Signataires
Olivier Blond, président de l’association Respire
Dr Thomas Bourdrel, du Collectif Strasbourg Respire
Dr Cécile Buvry, du Collectif Médical Vallée Arve
Professeur Gilles Dixsaut, du Collectif Air Santé Climat
Michel Dubromel, président de France Nature Environnement
Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace
Cécile Ostria, directrice générale de la Fondation Nicolas Hulot
Philippe Quirion, président du Réseau Action Climat
Dr Pierre Souvet, président de l’association Santé Environnement France
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