Le vendredi 14 décembre 2018 – Alors que plus de 900 activistes menaient une action massive de désobéissance civile devant l’agence centrale de Société Générale à Paris, Société Générale publiait sur son site internet une « Lettre ouverte à ceux qui se mobilisent pour le climat ». Les Amis de la Terre lui répondent.
Société Générale tourne le dos à l’urgence climatique
Deux mois après la publication du rapport spécial du GIEC qui conclut qu’il est « nécessaire et même vital » de maintenir le réchauffement climatique global sous la barre des 1,5 °C d’ici à la fin du siècle, cet objectif doit être le seul cap retenu par les responsables économiques et financiers. Alors que les réserves de charbon, pétrole et gaz en cours d’exploitation nous mèneraient déjà au-delà du seuil critique de +1,5 °C et même de +2 °C, tenir cette trajectoire signifie ne plus étendre la frontière des énergies fossiles [1].
C’est pourtant la direction inverse qu’emprunte Société Générale. Nous répondons par des chiffres. Alors que la première urgence est d’endiguer le développement des industries fossiles les plus destructives pour le climat, la banque française a financé ces secteurs à hauteur de 7,2 milliards de dollars entre 2015 et 2017 [2]. Elle a accordé 2,7 milliards de dollars aux entreprises qui développent des centrales à charbon dans le monde depuis la COP21 [3]. Elle continue à financer les sables bitumineux et le très controversé pipeline Line 3, renouvelant ses soutiens à l’entreprise Enbridge.
« Le gaz de schiste est une énergie de transition nécessaire » d’après Société Générale
Société Générale est la première banque au monde à avoir financé en 2017 l’exportation du gaz de schiste nord-américain sous la forme liquide, le GNL [4]. Comment la banque justifie-t-elle son engagement de premier plan dans cette industrie ? En déclarant le faire pour le climat.
D’après la banque, « Le gaz, y compris le gaz de schiste, est une énergie de transition nécessaire », une déclaration qui ne s’appuie en rien sur la science. Le gaz « naturel » est une énergie fossile. Il est composé de méthane dont les émissions constituent la seconde source mondiale de gaz à effet de serre après le CO2. Sur 20 ans, le méthane a un pouvoir réchauffant 86 fois supérieur au CO2. L’augmentation de la concentration du méthane dans l’atmosphère est en majorité causée par l’industrie du pétrole et du gaz [5] et coïncide avec le boom du gaz de schiste. Les émissions totales liées au recours au GNL peuvent en outre représenter 2,5 fois celles produites au niveau de sa combustion [6].
Au-delà des impacts climatiques, le gaz de schiste est responsable de lourdes pollutions des sols et des eaux et de désastres sanitaires, d’où l’interdiction de sa production via la fracturation hydraulique dans un grand nombre de pays européens et en France depuis 2011.
Les Amis de la Terre ne valident pas les annonces embryonnaires de Société Générale
Société Générale conclut sa lettre en annonçant timidement ce qui reste à ce jour sa seule réponse concrète à nos demandes : l’arrêt de ses financements directs aux importations de gaz de schiste américain en France. Société Générale reconnaît que ce secteur est problématique, mais propose une réponse qui ne porte pas ni sur l’exploration et la production, ni sur le transport onshore et la liquéfaction du gaz de schiste. Concernant le transport maritime du gaz naturel liquéfié issu de gaz de schiste, Société Générale ne financera plus les cargaisons embarquant pour la France, mais pourra le faire pour l’Espagne, l’Allemagne, l’Argentine ou la Chine. Contrairement à BNP Paribas, Société Générale poursuit donc ses soutiens à presque toute la filière, business as usual. Elle pourra par exemple toujours soutenir la quarantaine de projets de terminaux d’exportation de gaz de schiste prévus en Amérique du Nord, et notamment Rio Grande LNG. Pourtant, depuis des mois, les preuves à charge contre le projet texan s’amoncellent sur les bureaux de la direction de la banque.
Des actions non-violentes qui mènent au dialogue avec les salariés de Société Générale
Depuis début septembre, 254 actions ont été menées par 2600 activistes dans des agences de Société Générale. Des actions humoristiques, des actions de dialogue avec les employés, plusieurs registres ont été utilisés pour faire passer nos messages dans un cadre strictement non-violent et déterminé. Sur le terrain, si des employés des agences ont été surpris au départ, ils ont montré de la compréhension pour nos actions et beaucoup nous ont témoigné leur adhésion à nos messages et leurs inquiétudes pour la situation climatique.
Entendu dans la bouche de salariés de Société Générale par des militants pour le climat à Paris et partout en France : « Je comprends bien ce que vous faites, moi aussi j’ai des enfants » ; « À titre personnel je vous soutiens, on vit tous sur la même planète » ; « On sait qu’il y a des clients qui commencent à partir car ils cherchent une banque plus éthique » ; « Je connais les investissements de la banque et maintenant je pense à une reconversion professionnelle » ; « Moi je suis d’accord avec vous. J’ai même pas 25 ans alors je suis aussi concerné ».
Nous disons stop aux excès et aux agressions
Reprenons les mots de Société Générale « Nous disons stop aux excès et aux agressions ». Car la violence est à aller chercher du côté des activités financées par la banque française partout dans le monde. Forages, pipelines, terminaux, centrales, chacun de ses projets porte des conséquences sur les communautés locales, qui se les voient trop souvent imposer. Dans la vallée du Rio Grande, les habitants, les communautés autochtones, les associations, les syndicats, les villes, luttent depuis plusieurs années contre un projet qui se développe sans leur consentement et auraient des impacts irréversibles pour leur environnement, leurs moyens de subsistance, leur héritage culturel, leur santé, leur sécurité.
Cette journée n’a fait que renforcer notre détermination. Face à l’urgence écologique, nous ne nous pouvons pas nous permettre d’attendre. Si Société Générale veut l’arrêt des mobilisations, la balle est dans son camp.
On nous accuse d’irréalisme. Nous répondons qu’espérer construire le monde de demain en finançant des désastres écologiques et sociaux est utopique.
#PourLeClimat
[2] https://www.societegenerale.com/fr/s-informer-et-nous-suivre/dialogue-et-transparence
[3] http://priceofoil.org/content/uploads/2016/09/OCI_the_skys_limit_2016_FINAL_2.pdf
[4] et [6] www.ran.org/publications/banking_on_climate_change_fossil_fuel_finance_report_card_2018/
[5] http://www.amisdelaterre.org/IMG/pdf/notebanquescharbon261118.pdf
Devant la Société Générale ce 14 décembre. Crédit photo : Guénolé Le Gal
Commentaires
Il me faut relire à tête reposée cet article grave.
L'idée qui me vient à l'esprit tout de suite est ce lien entre la protestation première des "Gilets jaunes" (non à la taxe écologique sur les carburants d'origine fossile) et les menaces dramatiques sur la vie sur Terre si la température moyenne de son atmosphère dépasse 1,5° vers la fin de ce siècle.
Quel Gouvernement est capable de réduire drastiquement la consommation des carburants d'origine fossile (charbons, pétrole, gaz) dans son pays, d'imposer des mesures de sobriété et de développer significativement la production d'énergie renouvelable (qui, elle semble aujourd'hui sans danger) ?
Je fais confiance au GIEC, ce groupement international d'experts en climatologie.
Je me demande pourquoi les pays du monde entier, les grandes organisations internationales, montrent, me semble-t-il, leur incapacité à prendre ensemble les décisions concrètes afin de réduire, voire de d'arrêter, l'augmentation de la température de l'atmosphère.
Le climat relativement tempéré, mais si fragile, de notre planète a permis la vie. Que comprendre quand des êtres intelligents issus de cette foisonnante vie, se comportent comme de vilains responsables ?
Daniel