Loujain al-Hathloul, Aziza al-Yousef et Iman al-Nafjan ont été arrêtées en mai dernier. Portraits de ces 3 défenseures des droits des femmes
Ces défenseures des droits humains militent depuis plusieurs années pour que les femmes aient le droit de conduire et pour qu'il soit mis fin au système répressif de tutelle masculine en Arabie saoudite.
Elles ont été emprisonnées en mai 2018, soit 1 mois avant la mise en œuvre du décret d’application permettant enfin aux femmes de conduire en Arabie Saoudite. Elles risquent jusqu’à 20 ans de prison.
Loujain al-Hathloul
Loujain al-Hathloul a fêté ses 29 ans derrière les barreaux, le 31 juillet 2018. Loujain est une figure emblématique du droit des femmes en Arabie Saoudite, notamment sur les réseaux sociaux.
Elle a été classée 3ème dans la liste des 100 femmes arabes les plus influentes en 2015. Elle est diplômée de l’université de Colombie britannique (Canada).
Arrêtée pour la première fois en décembre 2014, elle a été détenue pendant plus de 73 jours.
Cette arrestation faisait suite à la tentative filmée de Loujain, de passer la frontière entre les Émirats arabes unis et l’Arabie Saoudite en signe de protestation contre la loi injuste interdisant aux femmes de conduire dans le Royaume.
Aziza al-Yousef
Aziza al-Yousef, est une professeure d’informatique universitaire à la retraite. Elle a fait une partie de ses études à l’université de Virginie aux États-Unis. Elle a enseigné l’informatique à l’Université du roi Saud pendant 28 ans. Aziza al-Yousef est une des militantes les plus actives de la campagne contre l’interdiction de conduire et contre le système de tutelle masculine.
En 2013, avec Eman al-Nafjan, elles sont arrêtées par la Police pour avoir conduit aux alentours de Riyad. Elles ont été obligées de signer une déclaration où elles s’engagent à ne plus jamais conduire.
En 2016, elle lance une campagne de signature pour mettre fin au système de tutelle masculine, et tente de remettre les 14700 signatures collectées auprès du Conseil consultatif Royal qui l’a rabroue en lui demandant de les lui envoyer par mail.
Elle s’est également engagée auprès des femmes qui ont fui leurs foyers pour des faits de violence.
C’est une éminente défenseure des droits humains dans son pays et pour autant dans le viseur des autorités saoudiennes.
Eman al-Nafjan
Eman est la fille d’un officier militaire saoudien, elle a une maîtrise en anglais et a effectué une partie de ses études à l’université de Birmingham (UK), elle enseigne l’anglais à l’université et travaille sur une thèse en linguistique.
En 2008, elle ouvre un blog « Saudiwoman » qui parle des problématiques culturelles et sociales et les droits humains en Arabie Saoudite avec un angle spécial sur les femmes.
Elle commence à militer pour le droit des femmes à conduire en Arabie Saoudite dès 2011, et conduit près de Ryad en protestation contre cette loi.
Elle publie des articles dans des médias occidentaux au sujet de la campagne menée par les militantes saoudiennes pour obtenir le droit de conduire. Elle participe également à la campagne contre la tutelle masculine, et fait partie des signataires de la pétition.
En 2013, avec Aziza al-Yousef, elle est arrêtée par la Police pour avoir conduit aux alentours de Riyad. Elle est également obligée de signer une déclaration où elle s’engage à ne plus jamais conduire.
Le nouveau prince héritier, un réformateur ?
Les autorités saoudiennes ne ménagent pas leurs efforts pour donner l'image d'un pays qui met en place des réformes d'envergure afin de "moderniser " le royaume. Le prince héritier, Mohammad ben Salman, a fait appel à des agences spécialisées en relation publiques pour améliorer l'image de son pays et attirer des investisseurs étrangers.
Depuis le 24 juin 2018, les femmes saoudiennes sont enfin autorisées à conduire dans leur pays. La presse internationale l’a largement relayée et en a attribué les mérites au nouveau prince héritier.
La levée de cette interdiction est une réforme bienvenue et on la doit aux centaines de femmes qui se sont battues pour l’obtenir.
Pourtant les militantes qui avaient lutté pendant des années pour obtenir le droit de conduire, ont reçu des appels téléphoniques d’intimidation, leur interdisant de commenter la levée de l’interdiction de conduire. Il était donc clair qu’elles n’étaient pas autorisées à revendiquer leur succès.
Une campagne de diffamation
Le 19 mai 2018, les autorités saoudiennes ont entamé une campagne de diffamation pour accuser cinq des défenseurs des droits humains arrêtés d'être des « traites ».
Dans un communiqué publié dans les médias, des militants et d'autres personnes sont accusés de constituer une «cellule» menaçant la sécurité de l'État en raison de leurs « contacts avec des pays étrangers dans le but de saper la stabilité et la structure sociale du pays ».
Un hashtag les dépeignant comme « agents des ambassades » et un graphique montrant leurs visages a aussi largement circulé sur les réseaux sociaux et dans les médias gouvernementaux.
Après la diffamation, les arrestations
Eman al-Nafjan, une des défenseures maintenues en prison depuis mai écrivait juste avant son arrestation :
Maintenant que l'interdiction de conduire a été levée, d'autres problèmes peuvent être résolus. La chose la plus importante en ce moment est le système de tutelle
Le système de tutelle est discriminatoire à l’égard des femmes et des filles parce qu’elles ont besoin de la permission de leur tuteur masculin pour de nombreuses activités.
Sans cette permission, elles ne sont pas autorisées à voyager, travailler, étudier ou se marier. Les femmes qui s'opposent à cette discrimination sont confrontées à des actes d'intimidation et à des arrestations.
D’abord détenues au secret pendant plus d’un mois, sans contact avec leur famille et sans accès à un avocat, nous savons désormais qu’elles se trouvent à la prison de Jeddah et qu’elles peuvent communiquer par téléphone avec leur famille selon un agenda très strict. Elles risquent de passer devant le tribunal anti-terroriste et d’écoper de 20 ans de prison, voire la peine de mort !
La vague d’arrestation ne faiblit pas, deux éminentes défenseures des droits humains saoudiennes ont été arrêtées sans motifs aucun fin juillet : Samar Badawi, la sœur de Raïf Badawi et Nassima al Sada.
Si le prince héritier d’Arabie saoudite est vraiment un réformateur, il devrait libérer tous les militants des droits des femmes et ne pas avoir peur qu’elles continuent leur militantisme pour revendiquer le droit à la liberté d'expression, le droit de se rencontrer, de discuter, de s'organiser…
Serait-ce ce qui fait peur aux autorités saoudiennes ? Au point d’’arrêter sans aucune raison valable des défenseures des droits humains pacifiques et de les maintenir en prison ?
Publié par Amnesty International le 07.08.2018