Lettre ouverte de madame Françoise Dumont, présidente de la Ligue des droits de l’Homme, adressée à monsieur Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, concernant les expulsions forcées subies par les Roms.
Paris, le 8 mars 2016
Monsieur le Ministre,
Nous vous adressons cette lettre car les expulsions forcées subies par les Roms (ou les personnes désignées comme telles) vivant dans des bidonvilles en France atteignent des niveaux intolérables durant cette période hivernale.
En effet, le recensement des évacuations forcées de lieux de vie occupés par des Roms (ou des personnes désignées comme telles), en France, indique que depuis le début de l’année 2 582 personnes ont été évacuées de force de leurs lieux de vie, soit près de 300 personnes par semaine.
Sans attendre la fin du premier trimestre 2016, nous voulons alerter sur cette situation indigne et inhumaine. Rien que durant la dernière semaine, en plein hiver, ce sont plus de 1 000 personnes qui ont été ainsi jetées à la rue à Roubaix, à Marseille, à Nantes et en d’Ile-de-France.
Dans votre réponse au Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, M. Nils Muižnieks, en date du 12 février 2016, vous affirmiez : « Des efforts sont faits pour atténuer au maximum les effets sur les parcours de scolarisation, ce qui explique notamment qu’une grande partie des évacuations ont lieu en été. » Si ce que vous dites est avéré et au vu du nombre élevé d’évacuations forcées exécutées durant les deux premiers mois de cette année, nous craignons le pire, pour l’été à venir. Dans le cas contraire, vos dires ne se vérifient pas dans les faits.
Dans le même courrier, vous faites référence à la circulaire du 26 août 2012, indiquant son application lors des évacuations forcées. Nous devons vous contredire aussi sur ce sujet : sur les 19 expulsions recensées depuis le début de l’année, seules 11 ont fait l’objet d’une proposition d’hébergement temporaire. L’application de cette circulaire n’est pas du tout systématique, et ceci depuis le mois d’août 2012. Quand elle l’est, ce n’est que de manière très partielle. Cette observation est faite par tous les acteurs opérant sur le terrain. Ces expulsions se font, de fait, toujours sans solution de relogement valide et pérenne.
Ces expulsions sont condamnées par le Commissaire aux droits de l’Homme ou la Commission antiracisme (Ecri) du Conseil de l’Europe. Dans la lettre que le Commissaire aux droits de l’Homme vous a envoyé le 26 janvier 2016, M. Nils Muižnieks spécifiait en effet : « En outre, comme je l’ai rappelé dans mon rapport de 2015, le Comité européen des droits sociaux a rendu une série de décisions concernant la France, constatant plusieurs violations de la Charte sociale européenne concernant les droits sociaux des Roms. »
L’inquiétude est grande car on ne comprend pas pourquoi se perpétue cette politique inhumaine, indigne et inutile, car elle ne résout rien. Elle aboutit à précariser encore plus une population déjà très fragilisée. On estime qu’un tiers des personnes ainsi rejetées sans abri sont des enfants.
Nous voulons vous alerter ainsi que l’opinion publique, car, comme pour les réfugiés de Calais, c’est une politique du bulldozer qui est mise en place.
Nous réitérons la même demande, de manière inlassable : la suspension des expulsions systématiques, la sécurisation des bidonvilles et leur assainissement, la mise en place de solutions adaptées pour l’insertion des familles à travers le droit commun et ceci avant toute expulsion, pour toutes les familles et sur tout le territoire. Le suivi de ces politiques devrait être organisé dans le cadre d’un dialogue permanent entre les pouvoirs locaux (communes, collectivités territoriales), les autorités régionales et nationales et les acteurs publics et associatifs actifs dans les bidonvilles.
Vous comprendrez, monsieur le Ministre, que nous rendions cette lettre publique.
Je vous prie de croire, monsieur le Ministre, en l’expression de ma haute considération.
Françoise Dumont
Présidente de la LDH