Communiqué de la LDH
Le 21 février 2014, il y aura soixante-dix ans que le groupe Manouchian aura été fusillé au Mont-Valérien. L’année même de la Libération et du programme du Conseil national de la Résistance.
C’était donc le moment de revenir sur cette histoire, ici de façon très différente de celle de Robert Guédiguian dans son film de 2009, L’Armée du crime. Ce sont les survivants ou leurs enfants qui racontent, témoignent, sans intervention de voix-off, et avec l’appui de documents audiovisuels, d’archives publiques et privées, d’historiens. Le récit s’ordonne chronologiquement : les origines de la FTP-MOI, son engagement dans la Résistance, la traque, le procès.
La MOI, Main-d’œuvre immigrée, était pour l’essentiel issue de l’organisation syndicale par nationalité des ouvriers étrangers, fondée par la CGTU. La France d’avant-guerre, très xénophobe, comptait 2,2 millions d’étrangers pour quarante millions d’habitants. Beaucoup avaient fui les persécutions dans leur pays – l’Arménie, l’Italie, l’Espagne, la Pologne – pour rejoindre la France, vue comme le pays de la liberté et des droits de l’Homme. C’est autour des plus politisés d’entre eux, comme Manouchian, poète arménien qui avait adhéré au Parti communiste à la suite de février 1934, et d’anciens des Brigades internationales, que de jeunes étrangers s’engagent dans la Résistance contre un régime collaborationniste et antisémite, inspiré par l’Action française, qui les désigne comme l’anti-France – Vichy effectue quinze mille dénaturalisations, dont cinq mille Juifs. Leur engagement a un caractère d’évidence.
Dès 1940, l’organisation est interdite et se reconstitue dans la clandestinité. Le film raconte comment elle passe d’une première phase d’action politique – tracts, inscriptions, propagande – à une organisation militaire, solidement structurée et commandée, qui pratique désormais le renseignement, la guérilla urbaine, le sabotage des usines et des trains, et les attentats individuels. Ils – et elles, les femmes aussi – n’étaient en fait que quelques dizaines, mais devenus des professionnels des attentats, malgré la difficulté de tuer des êtres humains. Stéphane Hessel raconte comment de Gaulle reconnut leur combat, comment Jean Moulin intégra, comme soldat d’une Résistance unifiée, les FTP dirigés par Charles Tillon, comment surtout, au-delà de la Résistance immédiate, ils étaient porteurs d’une foi humaniste pour la France d’après la guerre, la foi qui inspira le programme du CNR.
Auteurs d’actions retentissantes, pris en filature pendant l’année 1943, les membres du groupe Manouchian furent décimés en région parisienne grâce au zèle de la police française, traditionnellement très anticommuniste, et livrés aux nazis. Tout le monde connaît l’affiche rouge, destinée à convaincre le bon peuple, qui n’en crut rien, que des bandits juifs étrangers s’en prenaient à la France pour de l’argent. Condamnés d’avance, les « terroristes judéo-communistes » furent fusillés après une parodie de procès. Un célèbre poème d’Aragon les transforma en légende.
Entre cette légende, nourrie des belles photographies de certains de ces très jeunes gens, et le débat historique, parfois nauséabond, qui s’en est pris qui à ces « staliniens », qui à Jean Moulin lui-même, il reste des faits, des souvenirs personnels, des transmissions familiales, des lettres qui disent l’espoir pour la France, du courage plus que de la haine, de l’humanité. C’est ce que montre fort bien ce film de forme modeste, en fait bien plus ambitieux qu’il y paraît. Ajoutons qu’il est dédié à un ami de la LDH, Raymond Aubrac.