Dessin de Laserpe pour Sine mensuel
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Le droit de vote des femmes en France a 80 ans
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Violences faites aux femmes : ne soyons pas complices par notre silence
L'affaire DSK constitue un cas particulier très médiatisé. Sans parler des faits, réels ou supposés, qui ne sont pas établis à l'heure actuelle, la présentation des protagonistes de cette affaire dans les media pose problème.
Nous écrivions le 16 mai : "En cette fin d'après-midi, Dominique Strauss-Kahn est inculpé formellement par un juge qui a demandé son maintien en détention. Sa situation est tragique, mais on pense avant tout à la plaignante qui doit également subir un calvaire, et qui a vécu des moments horribles si les faits sont avérés"
Il faut bien constater que les comptes-rendus et prises de position publiés dans la presse reprennent rarement le point de vue de la plaignante. C'est très souvent le cas dans les affaires de violence dont les femmes sont victimes.
Nous vous livrons l'analyse de Clémentine Autin sur le sujet, c'est une femme militante et particulièrement engagée sur ces questions.
Alors que les médias s’attachent tous à préciser que Dominique Strauss-Kahn reste présumé innocent, vous êtes allée à contre courant en rappelant aussi la “présomption de victime”. Pourquoi ? Dans les premières 24h, j’étais extrêmement choquée de la tonalité générale des commentaires qui parlaient de l’épreuve que traverse Dominique Strauss-Kahn, qui avaient une pensée pour ses amis, sa femme, ses camarades socialistes, qui se souciaient de l’image de la France ou de l’impact sur les primaires. Et il y avait une grande absente : c’était la femme de chambre.
Quelque soit ce qu’il s’est passé dans la suite du Sofitel, elle traverse elle aussi une épreuve et à elle aussi une famille qui doit vivre un sale moment. Et je trouvais qu’il n’y avait pas deux poids deux mesures. S’il y a une présomption d’innocence à respecter - j’y tiens, et je trouve d’ailleurs que cette présomption qui ne fonctionne pas aux Etats-Unis est un vrai problème - avoir “de la dignité et de la décence”, comme l’ont beaucoup réclamé les socialistes, c’est aussi avoir une pensée pour la victime présumée de cette tentative de viol.
Pensez-vous qu’il y a un consensus médiatique et politique autour de cette affaire ?
Oui, consensus qui se retrouve d’ailleurs dans un sondage qu’on nous livre ce matin, et qui a été fait lundi, dans lequel on apprend qu’une majorité de Français pensent qu’il s’agit d’un complot. Et si une majorité de Français -et encore plus les socialistes à 70%- soutiennent la théorie du complot, c’est parce que la tonalité générale donnait à voir cette hypothèse, et apportait peu de crédit à la parole de la plaignante.Comment expliquez-vous cette prise de position générale ? Parce que dans cette affaire, il y a aussi une sidération : l’idée qu’un homme, patron du FMI, ne peut pas avoir fait ça. On a quand même beaucoup entendu dire “Comment un homme aussi intelligent peut violer ?” Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, je n’étais pas dans la chambre du Sofitel. Moi ce qui m’intéresse c’est la façon dont on réceptionne les événements. Cela révèle beaucoup sur nos représentations et notre imaginaire collectif. Et notre imaginaire collectif, curieusement, pense qu’un violeur vient forcément de catégories populaires, que c’est un jeune arabo-musulman des quartiers qui a fait la Une des journaux pour des affaires de tournante. Et qu’un patron ou un haut responsable politique ne peut pas faire ça. Mais on est très loin de la réalité ! Oui, il y a des hommes de pouvoir qui utilisent leur position de domination pour obtenir des relations sexuels forcées.
La politique reste un milieu très macho ? Oui, je confirme ! Mais ce n’est pas le seul. Ce qui se raconte depuis quelques jours doit faire écho à ce que vivent beaucoup de femmes dans les entreprises, qui subissent du harcèlement, ont vécu des tentatives de viol etc. Il ne faut pas croire que cela ne touche que l’univers politique. C’est la question plus globale de l’utilisation des rapports de domination entre hommes et femmes, et de la fragilité spécifique de femmes qui sont sous une emprise économique ou hiérarchique, dont il s’agit.
Existe-t-il toujours un tabou sur les violences faites aux femmes ? C’est évident, il y a une tolérance sociale extrêmement forte à l’égard de ce type de crime et délit. La suspicion porte toujours sur la parole de la victime, elle pèse sur elle et contribue à son silence. Quand j’entends Jack Lang dire “Il n’y a pas mort d’homme”, je pense que cela symbolise totalement le fait que au fond, on pense que ce n’est “qu’un viol”, que ce n’est pas si grave que ça. Ce qui rend le viol encore plus difficile à surmonter, c’est le fait de ne pas pouvoir en parler. Le tabou contribue au traumatisme. Il faut vraiment le dire : le silence alimente la difficulté pour une femme de surmonter ce qu’elle a subit.Pour toutes ces raisons évoquées, votre prise de position “détonne”. N’avez-vous pas peur de créer une polémique ? De toute ma vie entière, je n’ai jamais reçu autant de messages de soutien sur mon blog, de textos, de mails… Essentiellement des femmes, oui, mais des hommes aussi, qui sont d’accord avec ce que je dis -et je ne suis pas la seule à le dire, Mélenchon, Cécile Duflot l’ont dit aussi. Le fait que cette parole soit très peu véhiculée choque aussi beaucoup. Donc il faut qu’il y ait un débat.
Propos recueillis par Ludivine Le Goff