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Le système Bolloré : quand l’empire médiatique protège l’empire néocolonial

Extraits de l'article de Jeanne Schuster publié le 19 août par le Monde Diplomatique

Vincent Bolloré, héritier d’un empire industriel breton, est devenu en quelques décennies l’un des hommes les plus puissants de France. À la tête d’un conglomérat tentaculaire qui mêle logistique portuaire, transport ferroviaire, communication et médias, il a bâti une fortune estimée à plusieurs milliards d’euros [1]. Derrière ces chiffres colossaux, un fait central : l’Afrique a longtemps été, et reste en partie, le principal moteur de cette fortune. De Lomé à Douala, de Cotonou à Abidjan, l’empreinte de Bolloré sur les infrastructures stratégiques africaines est telle qu’il est régulièrement surnommé le “roi de l’Afrique” ou “l’empereur des ports” [2].

Bolloré est devenu l’exemple emblématique d’un néocolonialisme économique qui ne s’appuie plus sur les armées, mais sur la capture d’infrastructures vitales par des capitaux étrangers, en échange de concessions, licences et contrats imposés dans un contexte de privatisations massives. Les accusations sont nombreuses : corruption pour l’obtention des ports de Lomé et de Conakry, accaparement de terres, violations des droits humains, exploitation illégale de ressources comme le coltan, évasion fiscale, et proximité assumée avec des dirigeants autoritaires, souvent avec le soutien discret des ambassades françaises.

À ce pouvoir économique s’ajoute un vaste empire médiatique tout aussi déterminant. En France comme en Afrique, cette concentration sans précédent lui permet de modeler le récit public, de diffuser des idées d’extrême droite et de taire certaines enquêtes. En Afrique, Canal+ et ses filiales sont un levier majeur pour façonner l’imaginaire collectif, tout en minimisant ou occultant les controverses liées à ses activités économiques.

Le “système B” incarne la continuité de la Françafrique : un pouvoir économique bâti sur l’accaparement d’infrastructures vitales, doublé d’un pouvoir symbolique qui contrôle l’information et les imaginaires. De l’exploitation des quais africains aux plateaux télé parisiens, l’empire Bolloré illustre comment le capitalisme contemporain articule puissance économique et pouvoir symbolique pour perpétuer les logiques coloniales

(...)

Conclusion : Bolloré comme symbole d’un système plus large

L’examen des activités de Bolloré, qu’il s’agisse des ports africains, des lignes ferroviaires ou des médias français et africains, révèle une logique unique et cohérente : celle de l’appropriation stratégique et du contrôle systémique. Derrière chaque investissement se dessine la volonté de dominer des infrastructures clés, de capter des flux économiques et d’influencer l’information, créant des dépendances durables et consolidant une position hégémonique. Ports et rails, télévisions et journaux, tout converge pour structurer un pouvoir économique et symbolique, indissociable d’une vision néocoloniale.

Mais Bolloré n’est pas un cas isolé. Il incarne une facette contemporaine d’un modèle français de prédation économique en Afrique, qui perdure sous de multiples formes depuis la période de la Françafrique. Les multinationales françaises, protégées par des réseaux politiques et des dispositifs financiers sophistiqués, continuent de bénéficier d’une liberté d’action quasi totale, accumulant profits et influence au détriment des populations locales. Cette emprise illustre la nécessité de dépasser l’analyse d’un seul acteur pour comprendre un système plus vaste, où la concentration économique et médiatique devient un levier central de domination.

C’est dans cette perspective que l’approche du CADTM prend tout son sens. La lutte contre les dettes coloniales, contre les monopoles et contre la concentration médiatique n’est pas un combat sectoriel, mais un combat unique et transversal. Elle vise à exposer les mécanismes de pouvoir, à restituer aux populations la maîtrise de leurs ressources et de leurs informations, et à mettre fin à des logiques de domination qui perpétuent inégalités et dépendances. Contre les pratiques prédatrices et l’opacité des multinationales, la mobilisation citoyenne, l’action juridique et la vigilance médiatique constituent des outils indispensables pour rétablir la justice économique et sociale.

En fin de compte, le cas Bolloré illustre avec force que la question de la dette, des monopoles et de l’influence médiatique n’est pas seulement économique : elle est politique, sociale et symbolique. Elle appelle une riposte organisée, collective et transnationale, capable de remettre en cause les logiques d’appropriation et de contrôle qui façonnent encore aujourd’hui les relations entre la France et l’Afrique.

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Photo : Copyleft, CC, Wikimedia Commons, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:2013_Global_Conference_at_Unesco_Vincent_Bollore.JPG

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