Extraits de l'article d' pour Basta !
Alors que les technologies rendant les armes de plus en plus autonomes se développent à grande vitesse, les débats pour légiférer progressent lentement. Des États et ONG réclament un traité international de manière urgente.
Les drones semi-autonomes se sont fait une place au cœur des stratégies militaires dans la guerre en Ukraine, avec les munitions « rôdeuses » en quête d’un objectif à détruire, ou les drones « kamikazes » utilisés par les Ukrainiens pour frapper des bases militaires ou des infrastructures russes jusqu’en Sibérie. À Gaza, des systèmes de ciblage basés sur l’intelligence artificielle (IA) sont utilisés par Israël. Dans les conflits actuels, la robotisation et l’IA ont déjà transformé les champs de bataille.
« Aujourd’hui, on est proche d’un déploiement des armes autonomes », s’inquiète Anne-Sophie Simpere, coordinatrice pour la campagne française de Stop killer robots. La coalition, qui regroupe plus de 250 ONG à travers 70 pays, vise à établir une législation internationale pour encadrer l’utilisation des « robots tueurs », appelés en France « systèmes d’armes létales autonomes » (Sala). Une fois activées, ces armes peuvent sélectionner une cible puis engager la force, le tout sans intervention humaine.
Dans l’immense majorité des utilisations actuelles, un humain reste dans la boucle, généralement pour décider ou non d’ouvrir le feu sur une cible préalablement sélectionnée par le système. Mais le développement rapide de l’IA a de quoi inquiéter les opposant
es aux systèmes d’armes autonomes. « Ces armes se développent depuis les années 1990-2000, mais il y a maintenant un vrai mouvement d’accélération, explique Thibault Fouillet, directeur scientifique de l’Institut d’études de stratégie et de défense, basé à Lyon. Ce n’est plus vraiment une problématique technique, mais plutôt éthique d’organisation. » Car si l’autonomie prend de plus en plus de place dans les armées, il n’existe aujourd’hui aucun cadre juridique pour la réglementer.
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Quelques puissances face au reste du monde
129 pays se sont exprimés en faveur d’un instrument juridiquement contraignant contre les robots tueurs. 54 ne se prononcent pas, et douze sont contre la mise en place d’un traité. Il s’agit de puissances militaires, dont certaines mènent des guerres contre leurs voisins, comme la Russie, les États-Unis, l’Inde, Israël, mais aussi les deux Corées, le Royaume-Uni, l’Australie, le Bélarus, l’Estonie, la Pologne et le Japon.
La France, de son côté, ne s’est pas prononcée. En 2013 pourtant, c’est elle qui a porté le sujet aux réunions de la convention sur les armes. « La France a une position intermédiaire, une approche à deux niveaux », explique Cyril Magnon-Pujo. Cela signifie qu’elle est pour une interdiction totale des systèmes d’armes létales autonomes ; mais se montre plus flexible en ce qui concerne les systèmes d’armes létaux intégrant de l’autonomie (Salia), c’est-à-dire les systèmes partiellement autonomes, avec « un humain dans la boucle ».
D’autres États, mais aussi l’Union européenne, dont la position est similaire, évoluent sur le sujet. « Ils sont rattrapés par le fait que ces armes deviennent un enjeu militaire, expose Cyril Magnon-Pujo. Les refuser, c’est se mettre, peut-être, à la traîne dans la course aux armements. »
« Il faut maintenant un leadership politique, c’est urgent », estime Anne-Sophie Simpere. Pour elle, même si la mise en place d’un traité risque d’être longue et qu’il sera très certainement boudé par les puissances militaires, il aura clairement un impact : « Il posera un stigmate sur les armes, les rendra inacceptables, ce qui envoie un message fort aux financeurs et aux constructeurs ».
En comparaison, le traité d’Oslo sur les armes à sous-munitions, adopté en 2008, n’a pas été signé par la Russie ni l’Ukraine. Même si l’utilisation de ces armes n’a pas pu être interdite dans ce conflit, elle a au moins suscité des inquiétudes et des critiques. En revanche, face à la menace russe, la Lituanie s’est retirée de la convention d’Oslo en mars. Une décision qualifiée par Handicap International de « recul historique pour la protection des civils ».