Extraits de l'article du Monde Diplomatique, daté de décembre 2024, par Sophie Bessis
Si le racisme visant les Juifs est un délit, l’opinion consistant à critiquer Israël et les politiques menées par son gouvernement ne peut être condamnée. Pourtant, depuis le 7 octobre 2023, la tendance à fusionner les deux notions n’a cessé de se renforcer.
L’affirmation est tant ressassée en Europe et en Amérique du Nord qu’elle a pris valeur de vérité : l’antisionisme serait un avatar contemporain de l’antisémitisme et il conviendrait de le combattre comme tel. Il est « la forme réinventée de l’antisémitisme », répète le président français Emmanuel Macron, à l’unisson des responsables américains ou canadiens, tandis que la classe politique allemande, croyant ainsi pouvoir payer la dette du pays à l’égard des Juifs, a fait de la défense inconditionnelle d’Israël une « raison d’État ». Depuis des décennies, les dirigeants israéliens usent quant à eux de cette confusion pour disqualifier toute critique de leur politique, et plus encore depuis les atrocités perpétrées par le Hamas le 7 octobre 2023
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Car l’époque contemporaine a ressuscité un oxymore, les sionistes-antisémites, réalisant une prédiction de Theodor Herzl. Dans son les sionistes ouvrage fondateur du sionisme, L’État des Juifs (1896), ce dernier affirmait que « les antisémites seront nos amis les plus sûrs et les pays antisémites nos alliés ». Les Juifs étant à leurs yeux inassimilables, nombre d’antisémites ont approuvé, dans les années 1920, l’idée de leur regroupement dans un État qui leur serait propre, ce qui permettrait de s’en débarrasser. Ce sionisme bien particulier a retrouvé une expression publique en France à la suite de la guerre des six jours de juin 1967. « En dehors du sionisme intégral, il n’est pas de solution raisonnable et efficace du problème juif », écrit alors Xavier Vallat, commissaire général aux questions juives sous Vichy, dans Aspects de la France (15 juin 1967).
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Nationalisme exacerbé refusant toute coexistence avec l’Autre, en l’occurrence le Palestinien, le sionisme qui domine aujourd’hui en Israël a renoué avec ce type d’alliés. Les États gouvernés par des xénophobes au lourd passif antisémite, dont le dirigeant le plus représentatif est le Hongrois Viktor Orbán, et les partis d’extrême droite occidentaux figurent désormais parmi les meilleurs soutiens de la droite israélienne. Ils partagent avec le sionisme contemporain le culte de la pureté de la terre et du sang, ainsi que le rejet de toute altérité qui pourrait la « polluer ». La matrice antisémite dont ils sont issus cohabite sans contradiction visible avec la parenté idéologique qui les lie à leurs homologues israéliens.
Héritiers d’une longue tradition sioniste, les protestants évangéliques constituent la seconde catégorie de soutiens inconditionnels à Israël, au nom de la croyance délirante selon laquelle tous les Juifs doivent être réunis en Terre sainte, puis être convertis collectivement au christianisme afin que les prophéties puissent s’accomplir. La droite israélienne n’a cessé depuis des années de resserrer ses liens avec ces alliés sulfureux, de plus en plus puissants aux États-Unis notamment. À l’inverse, elle voue aux gémonies les Juifs antisionistes, dont le nombre augmente depuis le carnage perpétré par l’armée israélienne à Gaza. Ceux-là sont dangereux, étant la preuve vivante qu’antisionisme et antisémitisme ne sont en rien des synonymes. Mais les contrevérités ont la vie dure, surtout quand elles sont sciemment entretenues.
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