Pour le défilé du 14 juillet, Narendra Modi, premier ministre à poigne de l’Inde, sera l’invité d’honneur à la tribune d’Emmanuel Macron. Certes, il fallait peut-être se féliciter du partenariat stratégique mis en place entre les deux pays, il y a 25 ans, ou valider une vision multipolaire du monde.
Mais peut-on ignorer le fait que l’Inde, sous la houlette de Modi, traverse une grave crise qui voit se multiplier les attaques contre les militants des droits humains, les ONG et les journalistes ? C’est en tout cas la décision d’Emmanuel Macron et de sa diplomatie. La complicité entre les deux dirigeants saute aux yeux. À en croire le Quai d’Orsay, la France et l’Inde seraient « liées par des valeurs communes » ainsi qu’un « attachement partagé à la démocratie ». Des mots convenus, détachés de toute réalité.
L’Inde, pays le plus peuplé de la planète, est souvent affublée du titre ronflant de plus grande démocratie du monde ; la France, de pays des droits de l’Homme, deux titres qui, à l’heure actuelle, sont tout aussi détachés de la réalité. Depuis 2014, année de l’arrivée au pouvoir de Modi et de son parti, le Bharatiya Janata Party (BJP), le climat public en Inde se dégrade violemment.
Musulmans, minorités : victimes des nationalistes hindous
Narendra Modi, dirigeant aujourd’hui encensé à l’international, est pourtant un personnage qui nourrit une violence d’Etat depuis des décennies. Ancien ministre en chef de l’Etat du
Gujarat, il est directement impliqué dans un massacre en 2002, dans cet Etat, qui a fait autour de 2 000 morts. Depuis, la carrière de celui qu’on surnomme « Le boucher du Gujarat » est parsemée de poussées nationalistes violentes, d’épurations et d’abus.
Les musulmans indiens, comme les autres minorités, y compris sexuelles, ou les castes dites inférieures, font l’objet d’attaques incessantes de la part des nationalistes hindous, avec le soutien du gouvernement dirigé par le BJP. Des foules violentes et armées attaquent régulièrement les musulmans et appellent ouvertement au viol des femmes musulmanes. Les femmes indiennes, de toutes les castes et de toutes les croyances, subissent des violences, des viols, sans qu’aucun gouvernement n’a jamais pris de véritables initiatives pour lutter contre ce phénomène.
Les défenseurs des droits humains et les journalistes sont ciblés par des lois sur la sédition et la lutte contre le terrorisme. Le secrétaire général adjoint de la Fédération internationale pour les droits humains, Khurram Parvez, défenseur des droits humains cachemiri a été arrêté en novembre 2021 pour son travail d’enquête sur les actes de torture et de disparitions forcées au Cachemire. Il est emprisonné arbitrairement depuis un an et demi. Emmanuel Macron et la diplomatie française doivent exiger sa libération, ainsi que celle des autres activistes des droits humains.
L’Inde un exemple notoire du recul de la démocratie
En novembre 2022, les autorités indiennes ont perquisitionné les bureaux de The Wire, un média respecté, souvent critique à l’égard des politiques du gouvernement. Elles ont également perquisitionné les domiciles de plusieurs de ses rédacteurs en saisissant leurs appareils électroniques. Le but ? Les réduire au silence.
Tout comme des dizaines d’autres journalistes, dont Siddique Kappan, Mohammad Zubair et le journaliste cachemiri Irfan Mehraj, détenus et inculpés. Des centaines de défenseurs des droits humains, y compris des militants de l’environnement et du climat, sont harcelés et poursuivis par les autorités. Demander des explications au gouvernement indien en marquant la réprobation de la France est indispensable.
Alors que l’Inde devient un exemple notoire du recul de la démocratie et des droits humains à l’échelle mondiale, ce 14 juillet, date ô combien symbolique, les autorités françaises ont fait le choix de célébrer un partenariat « stratégique » et commercial, axé sur le nucléaire civil et l’armement.
Qu’importent les pogroms, les politiques à caractère ethnique, le conservatisme et l’identitarisme religieux. Très concrètement, des sous-marins et des Rafales vendus, un EPR en projet, des relations commerciales florissantes. C’est à peu près tout ce qu’il y aura à célébrer. Certainement pas la défense de la démocratie, encore moins celle des droits humains.
Signataires : Alice Mogwe, présidente de la FIDH, et Patrick Baudouin, président de la LDH.