L’article 6 du projet de loi relatif au respect des principes de la République, en débat au Parlement, oblige les associations comme les syndicats sollicitant une subvention publique à signer un « contrat d’engagement républicain ». Si elle était adoptée, cette obligation, d’apparence formelle, serait lourde de conséquences et affaiblirait gravement notre démocratie et nos libertés fondamentales.
Le texte prévoit un engagement « à respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité, de respect de la dignité de la personne humaine ainsi qu’à respecter l’ordre public, les exigences minimales de la vie en société et les symboles fondamentaux de la République ». Il ne s’agit pas ici de se conformer à un nouveau cadre légal car tout individu comme toute organisation se doivent de respecter les lois et la Constitution. Sinon, le juge est saisi pour sanctionner les illégalités et les délits constatés. L’objectif n’est pas là. De plus, la Charte des engagements réciproques signée en 2014 entre l’Etat, les collectivités territoriales et les associations a déjà réaffirmé ces principes partagés.
Le projet incite toutes les administrations et collectivités locales à repérer un « objet que poursuit l’association […] illicite » et des « activités […] pas compatibles avec le contrat d’engagement républicain […] » pour refuser, voire retirer une aide à un projet porté par une association, indépendamment de celui-ci. Il est ainsi demandé une appréciation morale et subjective des missions générales de l’association et de ses modalités d’action. Une telle disposition inquiète car elle revient sur les fondements mêmes de la liberté des associations qui repose sur le respect de leur indépendance, de leur fonction critique et de la libre conduite de leurs projets comme rappelés dans la Charte de 2014.
Il serait attendu que le contenu de ce « contrat » soit clairement défini dans la loi et adopté en transparence après un débat parlementaire. Or il n’en est rien. La représentation nationale est encore marginalisée. Elle n’est invitée qu’à voter son cadre général, renvoyant à un décret du gouvernement ce qui serait imposé à toutes les associations et ce que l’Etat et toutes les collectivités locales devraient précisément surveiller. L’exécutif en place, comme ceux de demain, déciderait une nouvelle fois seul de façon autoritaire de nos libertés fondamentales en sommant tous les acteurs publics de promouvoir sa vision des principes républicains, ce qui serait une épée de Damoclès sur l’avenir de notre démocratie.
Face à une polémique croissante sur les intentions cachées du gouvernement, les ministres portant ce projet de loi ont dévoilé un préprojet de ce fameux décret. Il est des plus inquiétants. Sept engagements seraient exigés, tous très intrusifs sur le fonctionnement interne des associations, avec des champs à contrôler très généraux, laissant place à de grands risques d’arbitraire, de démarche inquisitoriale et de tensions. Ainsi des administrations et des élus locaux pourraient refuser le soutien à un projet associatif culturel, sportif ou d’animation de quartier par exemple aux motifs que les conditions d’exclusion des adhérents, l’effectivité de l’égalité entre les femmes et les hommes au sein de l’association ou encore que la protection de « l’intégrité morale » des membres ne seraient pas satisfaisantes à leurs yeux.
Surtout, avec l’obligation de s’abstenir de tout « prosélytisme abusif » et de ne « pas causer de trouble à l’ordre public », l’exécutif affiche une volonté de museler les associations protestataires, celles qui dénoncent parfois avec force l’ordre établi, mais aussi les syndicats, en menaçant de les sanctionner financièrement par le retrait des subventions obtenues pour des projets non contestés. Les actions de plaidoyer ou de pétition qui visent par nature à convaincre et qui déplairaient pourraient être dans la ligne de mire comme les actions citoyennes de désobéissance civile ou encore les manifestations de rue. Pourraient être aussi reprochées une participation aux dernières mobilisations de défense de l’environnement, contre les violences policières, pour la justice sociale ou encore les actions symboliques féministes ou de soutien aux migrants. La liberté associative et syndicale, et plus largement la liberté d’expression de toutes et tous, seraient atteintes.
Au final, ce contrat d’engagement se révèle comme un contrat de défiance envers toutes les associations, un transfert aux administrations et aux élus locaux d’un pouvoir de police morale et de la pensée dans une logique de surveillance généralisée et de mise au pas de toutes les associations et de leurs membres.
Il ouvrirait un risque sérieux de déstabilisation et de fragilisation des ressources des associations quand, dans le même temps, les entreprises continuent elles de bénéficier d’un soutien public massif de la puissance publique sans aucune contrepartie sociale ou sociétale, alors qu’existent des inégalités et discriminations persistantes sur lesquelles elles ont pourtant des obligations légales à satisfaire.
En pleine crise sanitaire, sociale et environnementale, on attend au contraire du gouvernement et des pouvoirs publics un soutien sans faille aux associations qui sont la traduction de l’engagement de millions de citoyennes et de citoyens pour faire vivre une République sociale et solidaire.
Paris, le 23 février 2021
Malik Salemkour, président de la LDH