Alors que tous les yeux sont de nouveau rivés sur les chiffres inquiétants de la pandémie, un autre drame continue de se jouer au cœur de l’Europe. Une tribune de Cécile Coudriou, président d’Amnesty International France,publiée le 19.08.2020.
Les réfugiés ont peut-être disparu des écrans cet été, mais ces femmes, ces hommes et ces enfants qui ont tout quitté dans l’espoir d’une protection et d’une vie meilleure continuent de braver la mort sur les routes de l’exil. Et lorsqu’ils en sortent vivants, ils restent désespérément bloqués en mer sur des navires qui attendent des semaines l’autorisation d’accoster, puis dans des camps, aux portes d’une Europe devenue forteresse.
Le nombre de personnes arrivés par la Méditerranée centrale a chuté ces dernières années, passant de 181 434 en 2016 à 11 471 en 2019, puis à 9 725 entre le début de l’année et juillet 2020. Mais à quel prix ? Les États bafouent le droit d’asile et ne reculent devant rien pour empêcher les réfugiés d’atteindre leurs frontières : en 2016, l’Union européenne (UE) a signé un accord honteux avec la Turquie pour « sous-traiter » la question migratoire, transformant ainsi les réfugiés en monnaie d’échange pour Erdogan, comme il l’a démontré en mars dernier.
Puis l’UE a failli, avec plus de cynisme encore, en confiant à la Libye le contrôle des frontières. Ne nous voilons pas la face, les choix de nos dirigeants européens nous rendent complices d’atrocités, lorsque les réfugiés sont renvoyés dans ce pays, où des geôliers leur infligent torture, viol, extorsion et des trafiquants les réduisent en esclavage.
Et pourtant, des solutions existent : anticipation, coordination et répartition de l’accueil entre les pays selon leurs moyens permettraient de résoudre cette crise. C’est bien la dés-Union européenne qui conduit l’Italie et la Grèce dans l’impasse, et les plus vulnérables, ceux qui ont déjà tout perdu, en paient le prix.
Que reste-t-il alors à ces réfugiés sans refuge quand les États se défaussent de leurs responsabilités ? La main tendue des citoyens solidaires qui tentent comme ils le peuvent de pallier l’accueil indigne fait aux personnes exilées. Ils expriment leur fraternité en apportant nourriture, vêtements et réconfort, en venant en renfort dans les camps des îles grecques pour améliorer autant que possible leurs conditions, en les secourant dans les Alpes, ou encore en prenant la mer pour sauver des vies.
Mais, au scandale planétaire qu’est la crise de l’accueil des réfugiés, s’ajoute une autre aberration : l’entrave à l’aide et à la solidarité. Partout, les aidants sont menacés, harcelés, criminalisés par les autorités. Aujourd’hui, plus aucune ONG ne peut envoyer de bateau de sauvetage en mer Méditerranée : l'Ocean Viking de SOS Méditerranée est retenu par les garde-côtes italiens au prétexte fallacieux d’"irrégularités techniques", subissant le même sort que le Sea Watch 3, l’Alan Kurdi et l’Aita Mari avant lui. Sans oublier le Iuventa dont l’équipage risque 20 ans de prison pour avoir sauvé plus de 14 000 personnes en mer !
Nos valeurs européennes sombrent un peu plus à chaque naufrage qui aurait pu être évité, à chaque vie perdue, à chaque atteinte à la dignité des personnes exilées. L’UE et ses citoyens doivent retrouver la boussole des droits humains, et c’est le rôle d’Amnesty International - avec notre travail de recherche, de plaidoyer auprès des autorités et de mobilisation citoyenne - d’y contribuer sans relâche. Nous serons toujours du côté des plus vulnérables et des nouveaux « Justes » qui leur viennent en aide malgré les risques.