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Sortir du chaos par une nouvelle ambition citoyenne et sociale

Editorial de la revue Hommes et Liberté
n° 184, décembre 2018


2018 a été marquée par le 70 ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
L’actualité de ce texte radical éclaire les chemins possibles à emprunter ensemble. Si son universalité et son effectivité sont légitimement en question, elle demeure une référence mondiale utile en ces temps troublés.

Cette fin d’année 2018 s’est teintée en France d’une couleur inédite : le jaune. Elle pourrait être celle de la lumière et de la joie. Elle exprime ici de la colère, du désespoir et de l’inquiétude face à une vie quotidienne d’injustices et d’inégalités persistantes.
Cette révolte protéiforme des « gilets jaunes » apparaît comme l’expression d’une France jusqu’ici silencieuse, et qui s’affirme hors des champs habituels de la contestation sociale portée traditionnellement par les syndicats, les mouvements associatifs et les forces politiques. Partie d’une revendication précise autour d’une nouvelle taxe sur le gazole, se sont très vite agrégées des critiques plus larges et fondamentales. Elles expriment un « ras-le-bol » fiscal devant une injuste répartition de l’impôt. Elles accusent d’incompétence et de mépris les pouvoirs publics et, en premier lieu, le gouvernement et le président de la République, incapables de répondre aux aspirations premières de la population que ces « gilets jaunes » entendent porter.
Au-delà des débordements et des agressions racistes, sexistes, homophobes inacceptables, des infiltrations violentes de groupuscules extrémistes lors des manifestations de rue, ce mouvement, avec le soutien de l’opinion qui l’accompagne, alerte sur notre fonctionnement démocratique fondé sur la représentation et la délégation. Il remet en cause de manière confuse les choix économiques et budgétaires mis en œuvre depuis des décennies, qui réduisent toujours plus la place de l’Etat et des services publics, laissant à la loi du marché la satisfaction des besoins sociaux et la répartition territoriale des services et des richesses.

Des questions d’importance sont donc posées, avec leurs incohérences et leurs imprécisions. Le président Macron est directement interpellé, lui qui a choisi d’être en première ligne face au peuple, mettant à l’écart depuis son élection tous les corps intermédiaires, ignorant leurs alertes car jugés déconnectés des réalités, comme des filtres déformants inutiles au dialogue civil et social. Cette vision de l’État et de sa fonction est lourde de responsabilité et périlleuse. Elle limite les voies de sortie politique et se prive de propositions concertées.

Quelles réponses démocratiques et sociales ?
Sa réponse, avec le gouvernement et sa majorité parlementaire, a été à deux niveaux. D’un côté, comme l’avait déjà fait son prédécesseur en 2016, il décrète « l’état d’urgence économique et sociale » et décide d’octroyer quelques aides pour améliorer un peu le pouvoir d’achat des salariés et retraités les plus fragiles, de supprimer des hausses de taxes et de cotisations, et d’inviter de grands groupes privés à supprimer des hausses tarifaires prévues. Il n’est pas sûr que ces gestes pris dans la précipitation suffisent et soient à la mesure des attentes sans agir sur les causes des inégalités. De l’autre, il ouvre un débat national sur quatre grands thèmes :
transition écologique, fiscalité, démocratie et organisation de l’Etat et des services publics. Un cinquième avait été annoncé, celui de l’identité et de l’immigration, dans des termes malsains d’amalgame infondé entre migrants et laïcité. Signe du désordre ambiant au plus haut niveau de l’Etat, ce sujet, hors des préoccupations exprimées par les « gilets jaunes », est finalement retiré*. La provocation a cependant été faite et une polémique ouverte, jetant à nouveau l’étranger et, de fait, le musulman, dans les débats, posé en bouc émissaire expiatoire de tous les maux, flattant dangereusement les xénophobes et racistes de tous poils.
Face à cette crise politique inédite, les réponses à y apporter sont complexes et ne sauront se satisfaire de mesures technocratiques éparses.
Leurs forces seront d’autant plus grandes qu’elles s’inscriront dans une logique et une perspective assises sur des valeurs communes et porteuses de sens pour le progrès de toutes et tous.
2018 a été marquée par le 70 e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, adoptée au lendemain de la barbarie de la Seconde Guerre mondiale et du nazisme. L’actualité de ce texte radical éclaire les chemins possibles à emprunter ensemble. Si son universalité et son effectivité sont légitimement en question, elle demeure une référence mondiale utile en ces temps troublés. Elle réaffirme l’indivisibilité des libertés civiles et politiques et des droits économiques, sociaux et culturels. Il n’est de justice sans justice sociale, d’égale dignité sans égalité effective des droits. La mission essentielle de l’Etat et des pouvoirs publics, à tous niveaux, est de permettre à toute personne de vivre dignement, protégée de l’arbitraire et de l’injustice. La façon dont elle est remplie pose leur légitimité et elle est gage de paix sociale et civile. Aucun pouvoir démocratique ne peut durablement se contenter de protéger les richesses acquises et les nantis de pauvres et de précaires exclus de la solidarité et de la redistribution. Ignorer cette ambition ouvre des risques sérieux pour notre démocratie, dans un contexte international où s’étendent, partout dans le monde, les régimes autoritaires et populistes comme encore au Brésil, après l’Italie. Cette menace est réelle en France, d’où l’importance de ne pas jouer avec les peurs et d’offrir au contraire une perspective d’avenir solidaire, de justice sociale, fiscale, et désormais environnementale, à la mesure des attentes et des enjeux.


Face à la profonde défiance exprimée envers les élus nationaux, la concertation ouverte est à prendre avec sérieux. Elle sera utile si chacun y trouve sa place et que ses résultats sont effectifs. Aussi, le gouvernement ne peut être juge et partie, sur la forme du débat et sur son rendu. Les délibérations collectives sont partout à travailler de manière plurielle afin d’impliquer et d’éclairer chaque citoyenne et citoyen de tous les territoires, villages et quartiers. Elles devront s’appuyer sur celles et ceux qui agissent et pensent au-delà d’eux-mêmes : les organisations syndicales, qui demeurent essentielles à un dialogue social positif ; les associations, fortes de leur investissement dans tous les domaines de la vie en société. Les ignorer encore serait une lourde erreur. Il revient à l’Etat, aux maires et aux acteurs mobilisés de le garantir.
Pour sortir du chaos, si des mécanismes de démocratie directe sont envisageables, une refondation démocratique d’ensemble est à penser pour redonner sa légitimité et sa puissance à l’action publique et à ses représentants comme à de réels contre-pouvoirs.
La richesse de ces débats sera à largement partager en vue de permettre leur traduction politique, responsabilité qui pèse sur toutes les forces partisanes, lesquelles devront en tirer les leçons.
La confiance est à reconstruire avec chacune et chacun, par la force d’une pleine citoyenneté, permise par des droits économiques et sociaux réels corrigeant les inégalités et les injustices, pour demeurer effectivement libres et égaux en droits et en dignité. Un beau vœu pour 2019.

Malik Salemkour, président de la LDH


* Les thèmes « migrations et Laïcité viennent finalement d’être rajoutés, prouvant de façon manifeste ce « désordre ambiant au niveau le plus haut de l’Etat »...

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