A l'heure du débat sur la loi asile et immigration, la France doit respecter et protéger les droits de l'enfant. En 2017, plus de 300 mineurs ont été enfermés en métropole, et plus de 4 000 à Mayotte en 2016. Ce nombre ne cesse d'augmenter.
Les centres de rétention accueillent des personnes migrantes qui n’ont commis aucun délit, n’ont été condamnées par aucun tribunal, mais qui attendent là la mise en œuvre d’une procédure d’éloignement décidée par les autorités administratives. Aujourd’hui, un étranger peut séjourner jusqu’à 45 jours dans un centre de rétention. Le projet de loi asile et immigration discuté à partir du 16 avril à l’Assemblée nationale prévoit d’allonger encore ce délai et de le porter jusqu’à 90 jours. C’est là une des mesures les plus controversées pour tous ceux qui entendent s’opposer à ce nouveau projet de loi.
Certes, les centres de rétention ne sont pas des prisons au sens où elles ne dépendent pas de l’administration pénitentiaire mais tout y rappelle pourtant l’univers carcéral. Souvent situés près des pistes d’aéroports, les bâtiments y sont entourés de grilles et de barbelés, les jours et les nuits sont scandés par le bruit assourdissant des avions qui décollent ou atterrissent. A l’intérieur, la police en uniforme supervise la vie quotidienne des migrants, gère leurs allées et venues et les témoignages de ceux qui sont autorisés à pénétrer dans ces centres évoquent régulièrement des conditions de vie très pénibles, que ce soit au niveau de la liberté d’aller et venir ou de la promiscuité. Le manque total d’activité rend le temps particulièrement long et les conflits et les bagarres, plus ou moins violents, fréquents. Ajouter à cela l’extrême tension qui règne puisque, pour ces migrants, le transfert en centre de rétention n’est souvent que le prélude à un embarquement parfois musclé pour un retour contraint vers un pays qu’ils ont fui. Rien d’étonnant donc si les centres de rétention sont aussi des lieux où les personnels de santé – d’ailleurs en nombre insuffisant – distribuent anxiolytiques et somnifères.
De l’intérêt supérieur de l’enfant ?
En 2016, près de 50 000 personnes ont été privées de liberté dans des locaux ou des centres de rétention. Depuis 2013, le chiffre ne cesse d’augmenter et il explose aujourd’hui de façon alarmante. Situation d’autant plus scandaleuse que la loi du 7 mars 2016 a érigé en principe l’assignation à résidence des personnes faisant l’objet d’une mesure d’éloignement, la rétention ne pouvant intervenir qu’à titre subsidiaire. Rappelons qu’avant la loi du 7 mars 2016, la possibilité d’enfermer un enfant en rétention n’avait aucune base légale. C’est cette même loi qui l’autorise désormais. Toutefois, l’étranger accompagné d’un mineur ne peut qu’exceptionnellement être placé en rétention, l’intérêt supérieur de l’enfant devant toujours prévaloir et s’effacer devant «les commodités» administratives. Dans la pratique, c’est loin d’être le cas : on enferme les familles pour les avoir «sous la main» et on peut ainsi plus commodément expulser, loin du regard des voisins ou des associations. Le rappel de l’intérêt supérieur de l’enfant n’est inscrit que pour la forme.
C’est ainsi qu’en 2017, le recours à la rétention des familles avec enfants n’a cessé d’augmenter et en métropole, plus de 300 enfants ont été ainsi enfermés, soit presque autant que durant les années 2012, 2013, 2014 et 2015 réunies. Ces chiffres ne concernent pas Mayotte où, en 2016, plus de 4 000 enfants ont été placés en centre de rétention. Beaucoup d’entre eux ont été d’office rattachés à des personnes majeures qui n’exercent aucune autorité parentale sur eux. Pour l’administration, il s’agit ainsi de faciliter l’exécution de la mesure d’éloignement.
Cette situation pose problème au regard de la Convention internationale des droits de l’enfant (Cide), que l’on s’appuie sur son préambule ou sur plusieurs de ses articles. Elle pose aussi problème au regard du droit européen. En juillet 2016, le placement des enfants en centre de rétention a valu à la France d’être condamnée à cinq reprises par la Cour européenne des droits de l’Homme. En octobre 2014, l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a également appelé les Etats membres à reconnaître «qu’il n’est jamais dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’être placé en rétention en raison de son statut ou de celui de ses parents, au regard de la législation sur l’immigration». On ne saurait être plus clair. Le Défenseur des droits et la Défenseure des enfants se sont également prononcés clairement à plusieurs reprises pour que cessent ces pratiques.
Faire fi de telles obligations juridiques est une honte pour la France, si prompte à donner des leçons de droits de l’Homme à l’ensemble de la communauté internationale. Mais la honte ne s’arrête pas là. En s’obstinant à maintenir les placements d’enfants en centre de rétention, la France refuse aussi de prendre en compte les dramatiques conséquences de cet enfermement. Celui-ci laisse souvent des enfants anxieux, déprimés, avec des difficultés de sommeil et des problèmes dans leur développement physique et psychique. Imagine-t-on le stress d’un enfant déjà confronté à la violence d’une interpellation de ses parents à domicile et qui doit, en plus, assister à leur embarquement de force ? Sait-on a fortiori à quel point les bébés ou les tout jeunes enfants placés en centres de rétention avec leurs parents risquent d’en garder des séquelles invalidant lourdement leur évolution cognitive, affective et sociale ?
De nombreuses études, notamment anglo-saxonnes, ont démontré que l’enfermement, même pour une brève période, entraîne chez l’enfant des troubles semblables à ceux qui peuvent se manifester lors d’un état de stress post-traumatique. La question n’est pas de savoir si c’est plus «pratique» pour l’administration de maintenir les familles en centres de rétention, s’il est possible ou non de rendre les locaux plus «accueillants», plus vivables, en installant ici ou là un baby-foot ou une table à langer supplémentaire…
Beaucoup de voix s’élèvent aujourd’hui pour demander que la France respecte les droits de l’enfant en mettant fin à la rétention des mineurs et de leur famille et en remplaçant l’enfermement des enfants par leur protection. Nous attendons qu’au moment du débat sur la loi asile et immigration, les parlementaires – tous les parlementaires – assument leurs responsabilités et s’engagent dans cette voie. C’est la crédibilité de la France en termes d’«humanité» et de défense des droits de l’enfant qui se joue là.
Boris Cyrulnik, neuro-psychiatre, directeur d’enseignement université de Toulon; Françoise Dumont, présidente d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme; Colette Duquesne, présidente de Défense des Enfants International- France (DEI-France); Roland Gori, psychanalyste, professeur honoraire des Universités, président de l’appel des appels; Geneviève Jacques, présidente de la Cimade; Pierre Joxe, magistrat honoraire, avocat au barreau de Seine-Saint-Denis; Servane Legrand, psychologue clinicienne en protection maternelle infantile (PMI), présidente de l’A.NA.PSY.p.e; Marie Rose Moro, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Université Paris Descartes; Vanina Rochiccioli, présidente du Gisti; Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’Homme; Françoise Sivignon, présidente de Médecins du Monde; Pierre Suesser, pédiatre en protection maternelle et infantile, co-président du syndicat national des médecins de PMI