Extrait de l'article de Morvan Burel pour le Monde Diplomatique
Aux États-Unis, M. Donald Trump accentue un virage protectionniste amorcé lors de son premier mandat et poursuivi par M. Joseph Biden. En Inde, M. Narendra Modi préfère encourir l’ire de Washington plutôt que d’ouvrir son marché aux produits agricoles américains. En Chine, la célébration officielle du libre-échange n’empêche pas Pékin de soutenir ses champions nationaux et de protéger ses industries stratégiques. « Le système commercial mondial tel que nous l’avons connu est mort », résume M. Michael Froman, représentant au commerce des États-Unis entre 2013 et 2017 . Partout ? Non ! Un village d’irréductibles bureaucrates persiste à infliger à ses populations la pénitence du libre-échange : l’Union européenne.
Le camouflet commercial administré à Bruxelles par Washington aurait pu conduire les dirigeants européens à réévaluer leurs certitudes. Soucieuse d’écarter la menace américaine de taxer à 30 % les produits européens, la Commission a accepté, le 27 juillet dernier, un accord asymétrique extrêmement défavorable. Le texte prévoit que les exportations européennes acquitteront un droit de douane de 15 % à leur entrée aux États-Unis, cependant que les produits industriels et certains produits agricoles (huile de soja, semences de culture, céréales, fruits à coque, ketchup, biscuits, cacao) en provenance d’Amérique pénétreront librement sur le territoire européen. La Commission s’est également engagée à ce que le Vieux Continent acquière pour 700 milliards d’euros de produits énergétiques américains et à réunir 550 milliards d’euros d’investissements privés européens sur le territoire des États-Unis
Il en fallait toutefois plus pour que Mme Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, accepte de tempérer la doctrine de l’Union. Le 3 septembre dernier, la Commission européenne entérinait un accord de libre-échange avec le Marché commun du Sud (Mercosur, qui regroupe l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay), dont l’idée était apparue… en 1999. À l’époque, le président des États-Unis se nommait William Clinton, le commissaire européen au commerce Pascal Lamy et le directeur général du Fonds monétaire international (FMI) Michel Camdessus : trois incarnations d’une vague libre-échangiste qui déferla sur la planète à la fin du XXe siècle. C’était il y a plus de vingt-cinq ans. Depuis, une crise financière majuscule, une pandémie mettant le chaos dans les chaînes d’approvisionnement, un dérèglement climatique accéléré ont instruit le monde des conséquences directes du libre-échange : chômage de masse et désindustrialisation en Occident, maintien des populations dans la pauvreté au Sud, aggravation de la crise écologique.
Des centaines de milliers d’emplois en plus ?
Qu’importe à Mme von der Leyen. Selon la Commission, l’accord de libre-échange avec le Mercosur ainsi que celui signé le même jour avec le Mexique « constituent un élément essentiel de la stratégie de l’Union européenne visant à diversifier ses relations commerciales. [Ils] créeront des possibilités d’exportation d’une valeur de plusieurs milliards d’euros (…), contribueront à la croissance économique et à la compétitivité [et] soutiendront des centaines de milliers d’emplois européens ». Côté Mercosur, il s’agit d’accroître le volume des échanges commerciaux à travers la réduction ou la suppression des droits de douane sur plus de 91 % des marchandises. Mme von der Leyen prétend également sécuriser l’approvisionnement européen en minerais stratégiques (lithium argentin, graphite et terres rares du Brésil), afin d’extraire l’Union d’une trop grande dépendance vis-à-vis de la Chine . Selon les estimations de la Commission, la libéralisation des échanges avec l’Amérique du Sud entraînerait une augmentation des exportations européennes de 39 % (l’équivalent de 49 milliards d’euros), ce qui permettrait la création de 440 000 emplois en Europe. Comment refuser une telle manne ?
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