Communiqué commun
Depuis quatre ans, les associations subissent des attaques répétées à chaque débat budgétaire : des amendements visant à restreindre leurs ressources menacent aujourd’hui la liberté d’action et la survie financière de celles qui alertent, enquêtent ou secourent.
En cette journée d’ouverture des débats en séance publique, plusieurs organisations dénoncent cette criminalisation de l’action associative et appellent les parlementaires à rejeter ces vagues d’amendements(1) qui cherchent à museler financièrement des contre-pouvoirs citoyens et à affaiblir la démocratie.
Un « bâillon fiscal » qui cible les associations
Un amendement (n° I-282) en particulier marque une escalade sans précédent : il propose de retirer la défiscalisation des dons à toute association condamnée, quel qu’en soit le motif. Une telle mesure, inédite en France, reviendrait à bâillonner fiscalement les associations.Les amendements n°I-365, n°I-573, n°I-2365 et n°I-2608 ciblent quant à eux directement les organisations environnementales et de protection animale qui documentent les conséquences de l’industrialisation de l’agriculture. Ils prévoient d’élargir la liste des infractions pouvant entraîner la perte de la défiscalisation pour leurs donateurs, y incluant la captation d’images sans autorisation, l’intrusion, l’occupation de terrain, la destruction de biens ou encore la diffamation.Concernant les installations nucléaires, un autre amendement (n° I-826) vise les actions d’intrusion : sans élargir la liste des infractions existantes, il prévoit de retirer la défiscalisation aux associations impliquées, au motif que la relance du nucléaire en France amènerait à « une recrudescence de ce type d’actions ».La liste des « amendements-bâillons » ne s’arrête pas là. D’autres (n°I-280, n°I-37,n°I-281,n°I-923,n°I-1174) s’attaquent aux associations humanitaires et d’aide aux personnes migrantes. Ils ne reposent pas sur un élargissement d’infractions, mais sur une exclusion directe du dispositif de réduction d’impôt pour les dons faits à toute organisation condamnée pour aide à des personnes en situation irrégulière. Autrement dit, alors que les premiers amendements étendent le champ des fautes susceptibles de faire perdre la défiscalisation, celui-ci supprime purement et simplement le bénéfice fiscal pour les donateurs des ONG agissant en faveur des personnes migrantes.Si le fondement juridique diffère, la logique reste la même : asphyxier les contre-pouvoirs citoyens en sanctionnant fiscalement la solidarité et l’action collective.
Une offensive politique contre les contre-pouvoirs
Ces amendements s’inscrivent dans une logique plus large : la répression croissante des contre-pouvoirs citoyens. Depuis plusieurs années, les associations écologistes, de défense animale ou humanitaires subissent des attaques politiques, juridiques et médiatiques : des perquisitions abusives au discrédit, en passant par les restrictions d’accès au financement. La répression policière contre les militant·es écologistes a atteint des niveaux sans précédent : « la France est le pire pays d’Europe » sur ce plan, alerte le Rapporteur spécial sur les défenseurs de l’environnement aux Nations unies, Michel Forst, dénonçant « une menace majeure pour la démocratie et les droits humains ».Le discours sur le prétendu « agribashing », abondamment repris par certains responsables politiques, sert en partie à justifier cette dérive sans jamais, pour autant, s’attaquer aux raisons structurelles de la souffrance et de la paupérisation du monde paysan – et alors même qu’aucune donnée sérieuse ne confirme l’existence d’un phénomène organisé, et qu’une enquête de décembre 2024 a révélé que la cellule Demeter « observatoires de l’agribashing » a eu une activité extrêmement limitée. Cette rhétorique nourrit des initiatives législatives qui visent, en réalité, à intimider et faire taire celles et ceux qui documentent les conséquences environnementales de l’industrialisation de l’agriculture et les atteintes infligées aux animaux.
Les associations dans le viseur
Les associations environnementales sont menacées par les amendements n°I-365, n°I-573,n°I-2365,n°I-2608, qui étendent la liste des infractions pouvant entraîner la perte de la défiscalisation.« Ces amendements cherchent à punir l’action citoyenne et à faire taire la critique. En décidant quelles associations seraient “acceptables” ou non, les parlementaires s’arrogent le droit de trier les ONG selon leur convenance politique. C’est inacceptable dans une démocratie : les associations défendent l’intérêt général, là où l’État échoue trop souvent à agir », déclare Apolline Cagnat, responsable juridique de Greenpeace France.Pour L214, ciblée par les amendements n°I-365, n°I-2608, n°I-370, n°I-828 qui criminalisent la documentation des pratiques dans les abattoirs et les élevages, ces amendements sont aussi anti-démocratiques :
« Nos enquêtes ont révélé les souffrances inacceptables que subissent les animaux dans les élevages et les abattoirs. Ces images ont contribué à faire évoluer la législation et posent dans le débat public l’urgence de revoir notre modèle agricole et alimentaire. Ces amendements visent à faire taire ceux qui témoignent et empêchent les avancées indispensables pour répondre aux urgences éthiques, environnementales et de santé publique », explique Brigitte Gothière, cofondatrice et directrice de L214.Pour Nathalie Tehio, présidente de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) : « La contribution publique au financement des associations, dans leur diversité y compris politique, est un pilier de la démocratie. La voir remise en cause désormais chaque année pendant l’examen du budget, est une pression inacceptable sur leur fonctionnement et le projet associatif qu’elles choisissent de se donner, soutenues par les cotisations et les dons des particuliers. Toutes les associations dont les actions pourraient déplaire, justement parce qu’elles concernent l’intérêt général et suscitent le débat, sont menacées par ces attaques répétées, et avec elle notre espace civique démocratique. Face à cela, mobilisons-nous ! »
Une escalade depuis plusieurs années
- De 2019 à 2021 : les amendements ont été rejetés.
- 2022 : l’amendement déposé dans le budget a été rejeté grâce à une forte mobilisation citoyenne et associative.
- 2023 : l’amendement adopté en commission n’a finalement pas été intégré à la version finale du budget adoptée par le gouvernement via le 49.3.
- 2024 : la mesure revient, élargie et durcie. Elle a de nouveau été adoptée via deux amendements adoptés en séance publique par les députés, à deux voix près, suscitant une vague d’inquiétude dans tout le tissu associatif avant d’être rejetée lors du passage au Sénat.
Appel commun
Les associations signataires (cf. liste ci-dessous) demandent le retrait immédiat de ces amendements et appellent les parlementaires à protéger les libertés associatives et la démocratie.
Signataires : Canopée, France Nature Environnement (FNE), Greenpeace France, L214, LDH (Ligue des droits de l’Homme), Les Amis de la Terre France
Paris, le 24 octobre 2025
(1) Les organisations signataires en ont recensé plus d’une dizaine à ce jour.