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Un ostracisme antikurde qui vient de loin

Extraits de l'article du Monde Diplomatique, daté du 28.02.2025,écrit par Jean Michel Morel.

La « question kurde » se pose avec acuité dès la fin de la première guerre mondiale . Indociles et remuants, constitués en tribus n’hésitant pas à s’affronter, les Kurdes avaient obtenu de la Sublime Porte de conserver des émirats autonomes en contrepartie d’une surveillance des marches de l’Empire ottoman et d’une participation au maintien de l’ordre intérieur. Au cours du conflit mondial, des régiments de cavalerie kurdes, les hamidiye, ont participé aux massacres des Arméniens. Mais les cheikhs qui gouvernent les tribus restent partagés. D’aucuns entendent négocier avec le pouvoir central une autonomie respectueuse de leurs droits ; d’autres, plus ambitieux, envisagent d’obtenir un État. Comment faire prévaloir l’identité kurde, a priori inconciliable avec la turcité imposée par le Comité union et progrès (CUP) qui dirige l’Empire depuis 1908 ? Le suprémacisme et l’autoritarisme de ce parti s’inspirent des écrits du Français Gustave Le Bon, farouche partisan de la primauté de la race et contempteur de la démocratie 

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Mais, le 24 juillet 1923, quand les cloches de la cathédrale de Lausanne annoncent au monde la conclusion d’un traité entre la République turque et les vainqueurs de la Grande Guerre, cette promesse n’a plus cours. La Turquie entre dans l’ère du kémalisme, où règnent un parti unique, la verticalité du pouvoir, et qui réserve la citoyenneté de plein droit aux turcophones sunnites. Les Kurdes ou la communauté alévie — qui pratique un culte hétérodoxe et syncrétique — disposent de leurs droits s’ils renient leur singularité. Quant aux non-musulmans, ils ont le statut d’étrangers.

Kemal s’emploie à prendre quelques distances avec les « unionistes » mais poursuit leur projet de ségrégation darwinienne. Avec d’autres (Arméniens, Grecs, Juifs, Arabes), les Kurdes compteront parmi les principales victimes de cette politique. Ankara envisage que, harcelés et méprisés, ils émigrent en Perse (l’Iran d’aujourd’hui), en Russie, en Irak ou en Syrie et libèrent ainsi les terres fertiles de l’est de l’Anatolie. Mais ce calcul ne se concrétise pas : les révoltes violemment réprimées se succèdent ; bientôt, les Kurdes apparaissent comme une menace intérieure mettant en péril l’unité de la nation ; on leur impose un régime d’exception et l’armée s’oppose au développement de leur région.

Atatürk décède en 1938. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, si le régime du parti unique prend fin, la Constitution défend de s’organiser sur des bases ethniques. Pour contourner cette interdiction, des Kurdes adhèrent au Parti démocrate (DP, droite laïque), ce qui leur permet d’obtenir des sièges au Parlement et même des ministères. Un coup d’État intervient en 1960. Les militaires rendent le pouvoir un an après aux civils. Une classe ouvrière urbaine émerge, les organisations syndicales et politiques de gauche s’affirment. Le Parti ouvrier de Turquie (PIT), pluriethnique, décide notamment de prendre en charge la « question kurde ». Mais dans un contexte de multiplication des mouvements sociaux et de montée de l’islamisme, l’armée déclenche un nouveau putsch en 1971.

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Le leader du PKK a également abandonné le projet d’un Kurdistan turc indépendant ainsi que la référence au marxisme-léninisme, à laquelle il a substitué les théories du penseur libertaire nord-américain Murray Bookchin pour se convertir à l’écologie sociale, au confédéralisme démocratique et à une absolue primauté de la question féminine (5). Dans le même temps, avec l’intensification de l’exode rural des populations du Kurdistan et les mutations sociologiques qu’elle entraîne, la constitution de partis prokurdes légaux tend à s’imposer comme une nécessité. Interdits, dissous, leurs élus emprisonnés ou forcés à l’exil, ils se reconstitueront jusqu’à former l’actuel Parti démocratique des peuples (HDP), féministe, écologiste, opposé à la stigmatisation des personnes LGBT et poursuivant toujours le même objectif : « Devenir la représentation légitime du mouvement démocratique kurde, afin de favoriser une solution pacifique en Turquie (6). »

Au début des années 2000, dans un paysage politique cadenassé par le CHP kémaliste, l’arrivée du Parti de la justice et du développement (AKP), soucieux de trouver une solution au problème kurde, redonne de l’espoir aux populations du Sud-Est anatolien. Grâce à ses promesses d’apaisement — les affrontements entre l’armée et le PKK occasionnent des morts par dizaines de milliers et l’arasement de villages —, l’AKP réussit à capter des voix kurdes lors des élections municipales de 2004. Mais d’apaisement, il n’en sera pas question. Après une période de main tendue puis de coup de menton, de négociations ouvertes et vite refermées, en 2014, pour accéder à la présidence, M. Recep Tayyip Erdoğan, déjà premier ministre, déclenche à l’encontre des Kurdes une nouvelle tentative d’homogénéisation ethnique et religieuse dont les alévis (majoritairement kurdes) subiront les effets. La même année, dans un Proche-Orient en ébullition, la proclamation par l’Organisation de l’État islamique (OEI) d’un « califat » contraint les Kurdes syriens alliés à des forces arabes et assyro-chaldéennes à entrer en résistance. Des guérilleros du PKK seront détachés pour leur venir en aide. Nombre d’entre eux le paieront de leur vie.

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