Communiqué d'Amnesty International (extraits)
Paris, Berlin, Nice… de nombreuses villes européennes ont fait face ces dernières années à des actions terroristes. Trop souvent les gouvernements en retour mettent à mal l’état de droit qu’ils prétendent défendre. Etat des lieux de la sécurité nationale en Europe.
Des centaines de personnes ont été tuées et blessées dans une série d'attaques violentes qui ont frappé des États de l'Union européenne (UE) entre janvier 2015 et décembre 2016. Elles ont été abattues par des hommes armés, ont explosé lors d'attentats-suicides et ont été écrasées délibérément alors qu'elles marchaient dans la rue.
Ces crimes ne visaient pas que des individus ; il s'agissait également d'attaques contre des sociétés, des modes de vie et des modes de pensée. Il va de soi qu'il est urgent de protéger la population contre de telles violences gratuites. Faire respecter le droit à la vie, permettre aux individus de vivre librement, de se déplacer librement, de penser librement… ce sont là les missions essentielles de tout gouvernement.
On ne protège pas les libertés en les supprimant
Elles ne peuvent cependant pas être accomplies par quelque moyen que ce soit, d'autant que ce ne sont pas des missions qui doivent, ou qui peuvent, être accomplies en foulant aux pieds les droits mêmes que les gouvernements prétendent faire respecter.
Ces deux dernières années ont cependant vu se dessiner un changement radical à travers l'Europe : l'idée selon laquelle le rôle du gouvernement est d'assurer la sécurité afin que la population puisse jouir de ses droits a laissé place à l'idée que les gouvernements doivent restreindre les droits de la population afin d'assurer la sécurité.
La conséquence de ce changement a été une redéfinition insidieuse de la frontière entre les pouvoirs de l'État et les droits des personnes. Certains États membres de l'UE, ainsi que des organes régionaux, ont réagi aux attaques en proposant, en adoptant, ou en mettant en œuvre des vagues successives de mesures de lutte contre le terrorisme qui ont sapé l'État de droit, renforcé les pouvoirs exécutifs, mis à mal les contrôles judiciaires, restreint la liberté d'expression et exposé l'ensemble de la population à la surveillance du gouvernement.
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Des mesures disproportionnées et dangereuses inscrites dans la durée
Le fait que, dans toute l’UE, les États réagissent au terrorisme ou à la menace d’attentats violents par des mesures leur permettant de déclarer et prolonger plus facilement l’« état d'urgence » est extrêmement alarmant. Dans de nombreux États, des mesures d’urgence, censées être temporaires, ont été inscrites dans le droit pénal ordinaire pour durer. Des pouvoirs destinés à être exceptionnels prennent un caractère de plus en plus permanent dans le droit national.
Compte tenu de la fébrilité de la politique au sein de l'UE, les électeurs doivent faire preuve d’une extrême prudence quant à l’éventail des pouvoirs et l’étendue du contrôle sur leurs vies qu’ils sont prêts à conférer à leurs gouvernements. La montée des partis nationalistes d’extrême-droite le ressentiment à l’égard des réfugiés, les préjugés sur les musulmans et les communautés musulmanes, leur discrimination, l’intolérance à l’endroit des discours ou d’autres formes d’expression… le résultat de tout cela, c’est que ces pouvoirs d’exception risquent de cibler certaines personnes pour des raisons qui n’ont absolument rien à voir avec une réelle menace pour la sécurité nationale ou des actes à caractère terroriste. En réalité, c'est déjà ce qui se produit en Europe.
Le seuil à franchir pour déclencher et prolonger des mesures d'urgence a déjà été abaissé, et il risque de l'être encore davantage dans les années à venir. Le droit international relatif aux droits humains stipule clairement que les mesures exceptionnelles ne peuvent être appliquées que dans des circonstances réellement exceptionnelles – à savoir « [en] cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation », mais l’idée selon laquelle l’Europe serait confrontée à un danger permanent commence à s’enraciner.
Dans de nombreux pays d'Europe, en particulier ceux dont l'histoire a peu été marquée par le terrorisme, des gouvernements radicaux de quelque bord politique que ce soit seront tentés, et de plus en plus capables, d'imposer l'état d'urgence en réaction à la première attaque terroriste grave à laquelle ils seront confrontés. Ces gouvernements jouiront d’un large éventail de pouvoirs considérables qu’ils ne se contenteront vraisemblablement pas d’exercer sur les seules personnes impliquées dans des actes terroristes.
Ne renonçons pas aux droits humains
C’est déjà le cas en France, où la prolongation – par un parti politique traditionnel – de pouvoirs exceptionnels, bien au-delà de la période d’incertitude qui a suivi les attentats de Paris, a amplement contribué à faire accepter l’idée qu’une menace générale d’attentats terroristes menace l’existence même de la nation.
Mais aujourd’hui, cette menace pesant sur l’existence d’une nation – sa cohésion sociale, le fonctionnement des institutions démocratiques, le respect des droits humains et de l’état de droit – n’est pas due à des actes isolés commis par des personnes appartenant à une frange criminelle et violente de la société, même si celles-ci souhaitent détruire ces institutions et remettre en cause ces principes ; elle provient des gouvernements et des sociétés qui sont prêts à renoncer à leurs propres valeurs pour les combattre.
Tous les États, et en particulier les États membres de l'UE, doivent renouveler leur engagement, dans la loi et dans la pratique, à respecter leurs obligations internationales en matière de droits humains dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. La régression continue de nombreux aspects de la protection des droits au sein de l'UE doit cesser.