Finalement, nous voilà rassurés : il n’y a pas
 de coupures de courant par EDF dans le Vouzinois,
 simplement « des suspensions de fourniture
 d’électricité ». C’est ce que l’on apprend de la part du
 chargé de communication EDF (« L’UNION »du
 10/11/06). Que ceux qui voient la différence lèvent le
 doigt !
 Nous avions tiré la sonnette d’alarme à ce
 sujet au mois de juin dernier. A ce moment de
 nombreux usagers étaient victimes de cette pratique
 dans notre secteur. Manifestement cette époque n’est
 toujours pas révolue, où l’on fait payer aux pauvres
 leur propre misère.
 La précarité, c’est jongler tous les jours pour
 trouver de quoi manger, de quoi payer son loyer et
 ses charges, de quoi se soigner ou élever ses
 enfants… exercice bien difficile à tenir quand il faut
 faire des choix entre toutes ces dépenses aussi
 prioritaires les unes que les autres. Pour corser le
 tout, il faudrait en plus jongler dans l’obscurité!
 Il existe des services sociaux, et même une
 commission spécialement prévue à cet effet au
 niveau de chaque département. Mais quand ces
 moyens aboutissent si souvent à des échecs, il est
 grand temps de s’interroger sur leur fonctionnement.
 Est-ce aux plus démunis à s’adapter à ces
 mécanismes administratifs, ou bien ne serait-il pas
 plus logique de faire évoluer ces voies de recours,
 afin qu’elles soient compréhensibles et utilisables par
 les plus exclus ?
 L’arrêt de la fourniture de courant électrique
 devrait rester une menace ultime, à utiliser très
 exceptionnellement, pour des personnes
 manifestement de mauvaise foi.
 Cela ne paraît pas être le cas de la famille
 d’Olizy, dont le journaliste nous relate l’histoire dans
 l’édition du 10 novembre de « L’Union ».
 Nous avons recueilli le témoignage de deux
 familles de Vouziers qui ont vécu le même problème :
 pour respecter leur anonymat, certains détails ont été
 modifiés, mais leur histoire est malheureusement bien
 réelle.
 Madame B élève seule ses deux petits
 garçons, dont un ne va pas encore à l’école. Il est
 plutôt difficile d’espérer trouver un travail qui
 laisserait assez de souplesse pour continuer à
 s’occuper d’eux, et fournirait assez de revenus pour
 payer une nourrice qui deviendrait nécessaire. Alors il
 faut pouvoir finir chaque mois avec le revenu des
 allocations. Mais vite apparaît un retard de loyer. Puis
 un jour une dépense imprévue, ou un dossier en
 retard qui fait tarder une allocation. Il faut faire
 attendre la facture EDF. Mais le budget est tellement
 sur le fil que le retard ne peut pas être rattrapé. Et un
 jour, en rentrant de conduire son enfant à l’école, on
 retrouve son logement sans électricité. Bien sûr il y
 avait eu des avertissements et même un passage en
 puissance réduite.
 Mais comment trouver plusieurs centaines
 d’euros, l’équivalent du revenu mensuel, quand on a déjà
 une dette de loyer, et que le recours à la commission
 départementale n’est plus possible ( il n’est disponible
 qu’une fois par an) et par ignorance un appel a été fait
 pour une petite somme, pour laquelle une autre voie de
 solution aurait pu être utilisée.
 Il faut donc faire face tout de suite : vider le
 congélateur et le réfrigérateur en urgence, penser à
 acheter des bougies pour ce soir, et le plus difficile : que
 raconter aux enfants ?
 Et dans la durée, d’autres difficultés
 apparaissent : comment laver les draps ? Où conserver
 les produits frais ? Comment empêcher les accidents avec
 ces bougies le soir dans les différentes pièces du
 logement : il n’est pas possible de toutes les surveiller en
 même temps !
 Les enfants supportent de plus en plus mal le
 manque de lumière la nuit quand ils se réveillent
 Avec l’aide des services sociaux, Madame B et sa famille
 sont sorties de ce mauvais pas. Il ne reste plus que les
 loyers en retard à régulariser petit à petit en espérant
 qu’un imprévu ne remette pas tout en cause.
 M. et Madame C ont la cinquantaine, et ont eu
 trois enfants. Ils habitent un petit logement en ville, car ils
 ne supportaient plus leur HLM trop bruyant. Ils font partie
 des « travailleurs pauvres », qui ont un emploi à temps
 partiel, ou en intérim, ou sont au salaire minimum : leur
 revenu ne leur permet pas de couvrir les dépenses
 courantes.
 Quand M. C perd son emploi, il ne reste que les
 560 euros du revenu de Madame pour vivre. Les choix
 sont vite très difficiles : payer le loyer ou le téléphone,
 l’eau ou l’EDF ?
 Pour ne pas se retrouver dehors, on aboutit à une
 dette de 200 euros à EDF. Et il faut en payer la totalité,
 plus la remise en marche du compteur, pour que le
 courant soit rétabli. Impossible à faire, donc on se
 retrouve 4 mois dans le noir pour passer la soirée ; il faut
 apporter son linge à laver chez son fils, ne plus acheter de
 produits frais pour plus d’un jour.
 Heureusement M. C retrouve un emploi aidé, et
 sa petite paye sert à éponger la dette.
 Mais quelle expérience humiliante.
 Ce ne sont que deux exemples, mais assez
 significatifs : ces personnes ne sont pas des délinquants.
 Mère isolée, travailleurs pauvres, voilà les nouveaux
 exclus que fabrique notre société.
 Cet épisode n’est sûrement pas le dernier chapitre
 de cette histoire exemplaire du fonctionnement de notre
 société : comment sont traités les plus faibles. C’est pour
 cela, mais aussi pour faire plaisir au représentant d’EDF,
 que nous ne terminerons pas par une coupure brutale,
 mais par des points de suspension…
 
 Jean-Luc LAMBERT