Tribune publiée par Libération le 30.03.2021
Actrices et acteurs du mouvement social, féministes, syndicalistes, militant·e·s antiracistes, parfois ancien·ne·s de l’Unef, nous avons découvert avec stupeur et colère la polémique organisée par la droite et le gouvernement sur l’Unef.
Nous sommes indigné·e·s que le gouvernement fasse ce choix en pleine crise sanitaire, au lieu d’engager un vrai dialogue avec les organisations étudiantes et la communauté universitaire pour trouver des solutions à la situation catastrophique des étudiant·e·s. Alors qu’il stigmatise, met en opposition et banalise la parole raciste, le gouvernement est mal placé pour faire des leçons sur la République. Mais ce qui choque peut-être le plus, c’est le cynisme de la manœuvre qui occulte, caricature et empêche un débat nécessaire. Le calcul électoral est connu et la ficelle est grosse : à l’image de la polémique orchestrée sur l’islamo-gauchisme, l’enjeu est de créer des divisions identitaires pour occulter les questions sociales, et organiser ainsi le tête à tête avec l’extrême droite en 2022. Une stratégie malsaine et dangereuse, qui n’a d’autre effet que de légitimer les thèses de l’extrême droite.
L’objectif de ce type de polémiques caricaturales est d’empêcher un débat sain sur l’état des inégalités et discriminations et les moyens pour en sortir. Nous avons en commun la volonté farouche de construire une société mixte et égalitaire, de transformer les rapports sociaux de classe, de genre et de dominations liées au racisme. Mais nous savons que pour y arriver, il est souvent nécessaire de permettre aux personnes se sentant victimes d’une même discrimination de se retrouver pour oser exprimer leur vécu, leurs attentes, et enclencher un processus d’émancipation. C’est ce que des organisations progressistes pratiquent ponctuellement. Nous animons ou soutenons des collectifs de femmes, de travailleur·euse·s sans papiers…, qui permettent de libérer la parole sur les discriminations subies. De même sur les rapports sociaux au travail : c’est parce qu’ils et elles peuvent s’organiser sans les représentant·e·s de la hiérarchie que les salarié·e·s peuvent agir contre le management délétère et l’exploitation. Mais, comme l’Unef, nous avons en commun de nous inscrire dans un combat social, internationaliste et universaliste. Au-delà des rapports de domination qui se cumulent, nous cherchons à rassembler toutes celles et ceux qui souhaitent agir contre l’exploitation et l’oppression et gagner une société plus juste.
Prétexter de réunions «non mixtes» pour appeler à dissoudre la 2e organisation étudiante, forte de cent dix ans d’histoire, en créant un parallèle avec les jeunesses identitaires, est indigne de ministres de la République. C’est honteux et inédit, à l’image du relent de maccarthysme de la commission d’enquête sur les recherches prétendument «islamo-gauchistes». S’interroge-t-on sur tous les cadres prétendument mixtes qui en fait ne le sont pas du tout ?
Chacun·e est libre de partager ou non les choix et positionnements de l’Unef, et nous considérons d’ailleurs que les étudiant·e·s doivent être les seul·e·s juges sur ce point. Nous avons de nombreux sujets de débats entre nous, et nous pensons que sur des questions aussi complexes que la lutte pour le féminisme et la laïcité, contre le racisme et l’homophobie, la discussion est nécessaire. L’enjeu est de rendre visibles des inégalités, de s’organiser pour y mettre fin, sans assigner ni enfermer dans les identités stéréotypées que nous combattons. L’enjeu est également de trouver le bon équilibre pour articuler, sans prioriser ni occulter, la lutte contre les différentes dominations et les rapports d’exploitation de classe. Les inégalités se cumulent mais elles ne s’effacent pas : la lutte contre le sexisme ne doit pas occulter celle contre le racisme et vice-versa, par exemple. Les questions sont complexes, les réponses que nous y apportons peuvent différer, mais nous nous rassemblons pour soutenir la direction de l’Unef face à la violence des remises en cause dont elle fait l’objet et nous condamnons les attaques infâmes, sexistes et racistes, dont est victime sa présidente Mélanie Luce.
Premier·ère·s signataires
Ana Azaria, présidente de Femmes Egalité, Fatima Benomar, militante féministe, Sophie Binet, pilote du collectif «femmes mixité» de la CGT, Catherine Bloch-London, sociologue, Claire Charlès, présidente des Effronté-es, Annick Coupé, secrétaire générale d’Attac Cybèle David, secrétaire nationale de l’union syndicale Solidaires, co-animatrice des commissions femmes et immigration, Caroline De Haas, #NousToutes, Maryse Dumas, secrétaire confédérale CGT 1995-2009, Esther Jeffers, économiste, université de Picardie, Fanny Gallot, historienne, Sigrid Gérardin, secrétaire nationale et coresponsable du secteur femmes FSU, Murielle Guilbert, co-déléguée générale de l’union syndicale Solidaires, Huyara Llanque, Attac, Christiane Marty, Attac, Fondation Copernic, Alexandra Meynard, pilote du collectif de lutte contre les discriminations et pour l’égalité LGBT+ de la CGT, Suzy Rojtman, porte-parole du CNDF, Malik Salemkour, président de la LDH, Rachel Silvera, Economiste, université Paris-Nanterre, Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac, Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT, en charge de l’égalité, de la lutte contre les discriminations et de la jeunesse, Youlie Yamamoto, animatrice du collectif féministe Les Rosies…
Manifestation pour le climat à Paris, le 19 mars. (Jérémy Paoloni)