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Agent orange au Vietnam : " Ce procès historique est celui de la dernière chance pour obtenir justice"

A l’initiative du Collectif Vietnam Dioxine, des personnalités politiques, syndicales et associatives apportent leur soutien, dans une tribune au Monde, à la Vietnamienne Tran To Nga, victime de cette arme chimique, dans le procès qui l’oppose notamment à l’entreprise Monsanto.

Le 7 mai 2024 aura lieu un procès digne d’un combat de David contre Goliath. Tran To Nga, âgée de 82 ans, assigne en justice 14 multinationales agrochimiques, dont la célèbre Monsanto, pour avoir produit et commercialisé l’agent orange, un herbicide employé comme arme chimique par l’armée étasunienne durant la Guerre du Vietnam. Ce procès historique est celui de la dernière chance pour obtenir justice et permettre aux victimes d’envisager la reconstruction individuelle et collective, près de 50 ans après la fin du conflit.

Accompagnée de ses avocats Me William Bourdon, Me Bertrand Repolt, et Me Amélie Lefebvre, c’est en 2014 que Tran To Nga dépose plainte au tribunal judiciaire d’Evry où elle réside. Reprenant les arguments des sociétés incriminées, le parquet rend sa décision en 2021 : il se déclare incompétent à juger du fond de l’affaire. Ses avocats font alors appel de cette décision, l’affaire est reconduite devant la Cour d’appel de Paris trois ans plus tard.

Si les sociétés incriminées plaident l’immunité de juridiction (définition), parce elles ont en réalité répondu à un appel d’offres qui n’imposait en rien la présence de dioxine. Par ailleurs, la toxicité du produit était connue des fabricants dès 1957. Les épandages d’herbicides ont commencé en 1961, dont l’agent orange, massivement déversé dès 1965. S’il y a eu des réquisitions par les Etats-Unis, elles n’ont eu lieu qu’à partir de 1967, soit six ans après le début des épandages.

L’agent orange comme arme de guerre chimique

C’est en tant que résistante et journaliste pour le Front national pour la libération (FNL) que Nga s’engage. C’est à Cu Chi, haut lieu de la résistance, qu’elle subit à 24 ans les épandages d’agent orange, défoliant déversé par les avions de l’armée étatsunienne. L’objectif est de débusquer et d’affamer les résistant-e-s caché-e-s dans la forêt en faisant tomber les feuilles des arbres et en détruisant les terres agricoles.

L’agent orange tient son nom de la couleur du bandeau peint sur les barils signalant son « exceptionnelle toxicité » selon les mots de Dow Chemical. La concentration de la dioxine, sa composante cancérigène et tératogène a été volontairement surdosée à des fins mortifères et lucratives.

Ce poison « insidieux, silencieux, invisible » et ses effets ont détruit et détruisent encore aujourd’hui les terres et les corps. Actuellement, près de 6 000 enfants par an naissent avec des malformations congénitales, et 150 000 enfants souffrent de handicap lourd (hydrocéphalie, absence de bras, incapacité de se tenir debout, de marcher, surdité, cécité…). La malédiction de l’agent orange se perpétue et touche désormais la 4e génération.

Tran To Nga souffre elle-même de tuberculoses à répétition, d’un cancer, d’alpha-thalassémie, et d’un diabète de type 2 avec une allergie à l’insuline « rarissime ». Puissant perturbateur endocrinien, l’agent orange impacte aussi sa descendance. Elle perd sa première fille, Viet Hai, à la suite d’une malformation cardiaque au bout de 17 mois. Ses deux autres filles sont atteintes de complications cardiaques et osseuses, de même que ses petits-enfants. Pour son procès, son corps abîmé par la guerre et les maladies qu’il porte fait office de preuve face à ses bourreaux. André Picot, toxicochimiste déclare en 2011, à la lecture des résultats médicaux : « Les valeurs d’antan de dioxines dans l’organisme de Mme Tran ont accompli leur œuvre de mort ».

La Guerre du Vietnam comme genèse du concept d’écocide

Entre 1961 et 1971, près de 80 millions de litres d’herbicide contenant l’agent orange ont été déversés, 400 000 hectares des terres ont été détruites, soit 20% des forêts du sud du Vietnam.

Il s’agit d’un véritable écocide, notion théorisée par Arthur Galston en 1970 sur la base du drame de l’agent orange, et depuis 2024 inscrite dans la législation européenne comme un comportement causant “des dommages étendus et substantiels qui sont soit irréversibles soit durables” à l’environnement. Une définition internationale avait été proposée en 2021 par un groupe d’expert-e-s à l’attention des Etats parties au Statut de Rome, document qui définit les crimes internationaux sur lesquels la Cour pénale internationale a un pouvoir juridictionnel.

Justice et réparation : « deux poids deux mesures » ?

Après de longues tractations avec les sociétés incriminées, les vétérans étatsuniens victimes du même poison ont été indemnisés à hauteur de 180 millions de dollars dès 1984. Aucune reconnaissance juridique ou réparation n’ont abouti pour les victimes vietnamiennes, déboutées en 2009 par la Cour suprême des Etats Unis. Certaines vies valent-elles plus que d’autres ?  Certains corps méritent-ils plus de réparations au regard de leur origine ? Sommes-nous en réalité face à un racisme environnemental ?

Le temps presse. Les firmes incriminées et leur armée d’avocats livrent à Tran To Nga une course contre la montre. En raison de son âge, ce combat est pour elle le dernier, mais il en inspirera d’autres. Par cette tribune, le Collectif Vietnam Dioxine réaffirme sa volonté d’assurer la relève, de continuer de soutenir les victimes de l’agent orange, des armes chimiques et produits, et des écocides. Pensons aux victimes passées et présentes du glyphosate de Monsanto-Bayer, du phosphore blanc à Gaza, du chlordécone aux Antilles et bien d’autres encore.

Que cet écocide tombé du ciel serve à soulever des terres, qu’il nous indigne et nous mobilise pour que le 7 mai 2024, jour de l’anniversaire de fin de la bataille de Diên Biên Phu, David triomphe bien de Goliath. 

Pour ces corps intoxiqués longtemps restés dans l’ombre, pour ces terres empoisonnées, celles qui restent et celles de nos ancêtres, nous appelons à soutenir massivement le combat de Tran To Nga.

Voir la liste des signataires sur le site de la LDH

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