Publié le 6 août par Myriam Bourgy , Pauline Imbach sur le site du CATDM
Le monde semble découvrir à travers « Pegasus », le logiciel israélien au cœur d’un des plus graves scandales d’espionnage de la décennie, que le pouvoir marocain bafoue allégrement les droits humains, la liberté d’expression ou celle de la presse.
Aujourd’hui pourtant, ces droits n’existent plus au Maroc. Si les journalistes Omar Radi, surveillé par Pégasus, et Soulaiman Raissouni sont en prison, c’est justement parce qu’ils ont vu et dénoncé le durcissement autoritaire de leur pays. Ils ont refusé, comme de nombreux journalistes marocains, de se soumettre et de se taire. Le dossier Pegasus prouve qu’Omar et Soulaiman sont des lanceurs d’alerte et que leur combat dépasse largement les frontières du Maroc.
Omar Radi est notre ami. Nous nous sommes rencontrés en 2007 et avons travaillé ensemble au sein du réseau international CADTM (Comité pour l’abolition des dettes illégitimes). Journaliste d’investigation, voix critique que le pouvoir marocain veut faire taire à tout prix, il a été condamné lundi 19 juillet 2021 à 6 ans de prison ferme au terme d’une parodie de procès. Nous ne connaissons pas personnellement Soulaiman Raissouni, le rédacteur en chef du quotidien « Akhbar Al Yaoum ». Emprisonné depuis mai 2020, codétenu d’Omar Radi, Soulaiman a été condamné à 5 ans de prison ferme à l’issue d’un procès inéquitable. C’est au fil de sa détention qu’il est devenu, en quelque sorte, notre ami. Comme Omar, nous pensons à lui quotidiennement, nous nous inquiétons de son état de santé et avons peur aujourd’hui pour sa vie. Après 11 mois de détention préventive, Soulaiman a démarré le 8 avril dernier, une grève de la faim illimitée.
Nous ne sommes pas au Maroc, nous sommes loin, mais depuis plus d’un an nous partageons quotidiennement avec la famille et les ami·es des prisonniers politiques une immense colère, une peine profonde et de l’espoir. Les mots sont difficiles à trouver pour témoigner notre soutien et notre admiration tant à Omar et Soulaiman qu’à leurs familles et ami·es qui se battent sans relâche pour leur libération. Depuis l’arrestation arbitraire d’Omar, il y a tout juste un an, Driss Radi, son père, lui écrit chaque jour une lettre qu’il publie sur les réseaux sociaux. Ces lettres sont à la fois tendres et déchirantes, mais ce sont aussi de vifs plaidoyers sur la situation politique au Maroc et constituent à ce titre un puissant cahier de doléances. La mère d’Omar et la femme de Soulaiman, par leur courage, sont devenues les figures de la lutte pour la liberté des prisonniers politiques. Accompagnés d’ami·es, ces derniers mènent chaque jour un combat exemplaire qui n’est pas sans danger. Au Maroc la répression est à son apogée !
Nous les suivons sur les réseaux sociaux et les voyons, si impuissantes, derrière nos écrans, se faire agresser par les policiers qui toujours en surnombre interdisent leurs rassemblements, les violentent, arrachent leurs banderoles ou, comble de bêtise, coupent les arbres qui les ombragent lors des sit-in de solidarité. Nous savons que c’est ici la face visible. Nous les devinons sur écoute. Nous les imaginons suivis, harcelés, humiliés, surveillés... Les familles sont laissées sans nouvelles de leur proche, ne sachant, dans le cas de Soulaiman Raissouni, s’il est toujours en vie. Ces derniers jours, l’administration pénitentiaire refusait toujours son transfert à l’hôpital et l’avait placé avec des codétenus chargés de l’espionner et de manger devant lui, véritable torture après tant de jours de grève de la faim… Elle lui refusait également l’accès à un fauteuil roulant, alors que Soulaiman ne peut plus marcher, l’obligeant à ramper pour rencontrer ses avocats [1] !
Le pouvoir marocain met tout en place pour briser les prisonniers politiques, leurs familles et leurs soutiens. Mais, jour après jour, les familles et les ami·es marocain·es sont debout, déterminé·es et puissant·es. Jour après jour, leurs voix s’élèvent pour réclamer justice et liberté.
Jour après jour, ils affrontent courageusement le pouvoir.
Jour après jour, nous avons peur pour eux, nous qui n’avons pas leur courage.
Ils sont les voix libres du Maroc, les insoumis, leur combat est si juste ! Nous sommes à leurs côtés.
Soyons nombreux à exiger la liberté pour Omar et Soulaiman, et pour tous les prisonniers politiques au Maroc !
Notes
[1] Témoignage de Kholoud Mokhtari, la femme de Soulaiman Raissouni, posté sur son compte facebook après un entretien téléphonique avec son mari le 28 juillet 2021.