En déréglementant les pesticides chimiques, la Commission européenne ferait reculer l’Europe de trente ans (01/12/2025)

Un collectif de 114 organisations de protection de l’environnement demande le retrait immédiat de la proposition de Bruxelles d’autoriser la plupart des pesticides de façon illimitée.

En début de l’année, la Commission européenne utilise à tour de bras un outil législatif pour conduire sa politique antiécologique : « l’omnibus ». Présenté comme un outil pour simplifier la réglementation de l’Union, il vise à modifier simultanément différents points d’un ou de plusieurs règlements. Sous prétexte de « simplification », les omnibus sont en réalité utilisés pour déréguler massivement et prioriser les intérêts industriels au détriment de la santé et de l’environnement, pour les Européens et pour le reste du monde.

La direction générale de la santé de la Commission européenne tente ainsi, avec son projet d’Omnibus sur la sécurité des aliments, de déréglementer les pesticides chimiques. Une proposition de règlement de la Commission européenne reprenant les propositions d’un rapport du commissaire européen hongrois à la santé Oliver Varhelyi contient une série de mesures très favorables à l’industrie, qui, si elles étaient adoptées, affaibliraient considérablement le règlement (CE) n° 1107/2009 relatif aux pesticides et, par conséquent, le niveau de protection de la santé des citoyens et de l’environnement.

Souhait de l’industrie agrochimique

Parmi l’ensemble des mesures envisagées par le commissaire Varhelyi, une est particulièrement inquiétante. Au motif « d’améliorer la compétitivité des agriculteurs » et de « réduire la charge administrative des Etats », il est proposé de supprimer le réexamen systématique de toutes les substances pesticides. Il s’agirait d’une modification majeure de la réglementation actuelle qui prévoit d’accorder des autorisations de mise sur le marché pour une durée limitée en général à dix ou quinze ans et de réévaluer les substances, au bout de cette période d’autorisation, à la lumière des nouvelles connaissances scientifiques disponibles.

Les substances identifiées, « candidates à la substitution » en raison de leur toxicité, ne seraient pas visées par cette modification et devraient donc toujours se plier à un réexamen systématique pour rester sur le marché. Mais il s’agit d’un faible nombre de substances. Avec cette proposition, les autorisations d’une très grande majorité de pesticides n’auraient plus de limite dans le temps !

Cette mesure, souhaitée par l’industrie agrochimique, éviterait aux acteurs du secteur de devoir discuter régulièrement des nouvelles données scientifiques, potentiellement défavorables à leur substance. Les firmes seraient aussi soulagées de toute incitation à examiner d’éventuels effets négatifs supplémentaires sur la santé ou l’environnement.

Et surtout, sans révision systématique et périodique des substances, il y a un grand risque que les avancées de la science indépendante relatives à la toxicité des pesticides soient tout simplement ignorées. L’intégration et la prise en compte des données de la littérature académique sont déjà très limitées et défaillante avec le système actuel. Avec ces nouvelles propositions, la situation serait encore pire et il serait toujours plus difficile de faire entendre la science.

Or, c’est précisément dans le cadre des réexamens périodiques que nombre de pesticides dangereux sont identifiés et finalement interdits. Générations futures a identifié au moins 23 substances actives pesticides qui ne sont pas considérées comme « candidates à la substitution » et qui, pourtant, ont été interdites depuis 2011 en raison de risques révélés au cours de leur réexamen. Sans cette procédure de réexamen, les Européens seraient ainsi toujours exposés à l’insecticide neurotoxique chlorpyrifos ou au fongicide mancozèbe toxique pour la reproduction et perturbateur endocrinien. L’herbicide chlorothalonil et ses produits de dégradation pourraient continuer à contaminer massivement les eaux souterraines et l’eau potable.

L’insecticide phosmet continuerait d’exposer les agriculteurs et les riverains des champs traités à des risques jugés inacceptables pour leur santé… Avec les dispositions proposées par la Commission européenne aujourd’hui, ces substances n’auraient pas été réexaminées… et seraient donc probablement encore utilisées en Europe !

Procédures déjà insuffisantes

Il est d’autant plus alarmant de constater que cette proposition dangereuse de refonte de la réglementation est aux antipodes de plusieurs décisions de justice récentes, jugeant que les procédures d’évaluation des pesticides sont déjà insuffisantes. Notamment, dans une décision rendue le 3 septembre, la cour administrative d’appel de Paris a jugé que les évaluations des produits pesticides conduites par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) sont lacunaires en ne prenant pas en compte toutes les données scientifiques disponibles. Sans réexamen systématique des substances, il est certain que les dernières connaissances scientifiques seraient encore moins bien prises en compte.

Avec cette proposition qui maintiendrait plus longtemps sur le marché des pesticides dangereux, la Commission fera reculer l’Europe de plus de trente ans, à une époque où la toxicité des pesticides était à peine évaluée pour la protection des citoyens et de l’environnement.

Nous, organisations et personnalités signataires de ce texte, dénonçons cette proposition de la Commission européenne qui affaiblirait considérablement la protection de la santé des citoyens et de l’environnement contre les substances toxiques contenues dans les pesticides, tout en servant les intérêts de l’industrie qui les produit. Nous appelons à une forte mobilisation citoyenne afin que la Commission européenne abandonne ce projet d’omnibus qui nous entraînerait vers une ère sombre où la science est négligée et où le profit prime, toujours plus, sur la santé publique et la protection de l’environnement.

Premiers signataires : Philippe Bergerot, président de la Ligue contre le cancer ; Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux ; Stéphanie Clément-Grandcourt, directrice générale de la Fondation pour la nature et l’homme ; Antoine Gatet, président de France Nature Environnement ; Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France ; Nadine Lauverjat, déléguée générale de Générations futures ; Fanny Métrat, porte-parole nationale de la Confédération paysanne ; Claire Nouvian, directrice générale de l’ONG Bloom ; Pierre-Michel Perinaud, président d’Alerte des médecins sur les pesticides ; Gérald Raverot, président de la Société française d’endocrinologie ; Gérard Raymond, président de France Assos Santé ; Pierre Souvet, président de Santé Environnement France, Nathalie Tehio, présidente de la LDH (Ligue des droits de l’Homme).

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22:27 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pesticides, écologie, biodiversité, union européenne | |  Facebook | |  Imprimer |