Un fragile corridor contre la faim (22/07/2023)

Extraits de l'article du "Monde diplomatique" du 18.07.2023.

Il n’y a plus de corridor céréalier en mer Noire. Moscou a annoncé ce lundi la non prolongation de l’accord conclu il y a un an avec l’Ukraine, sous la supervision des Nations unies et de la Turquie. Le passage maritime sécurisé permettait l’exportation des produits agricoles ukrainiens à partir des ports de la région d’Odessa. Comme le rapportait le numéro de mars, le chef des affaires humanitaires à l’ONU avait exprimé son inquiétude dès ce début d’année : « Le blocage des expéditions [par les pays occidentaux] d’engrais russes, tout aussi indispensables pour l’agriculture mondiale, menace cet arrangement temporaire ». Désormais, c’est la réintégration de la banque agricole russe Rosselkhozbank au sein du système de règlements bancaires Swift que réclame Moscou.

Cest la géopolitique ! » À la mi-février, les cours mondiaux des céréales connaissent un brusque envol et les traders n’ont qu’une explication : la guerre en Ukraine et le bras de fer entre les pays occidentaux et la Russie sont responsables de cette flambée. Bien sûr, il y a la vigueur du dollar qui pousse à la hausse toutes les matières premières. Il y a aussi la sécheresse en Europe et le manque de manteau neigeux protecteur dans de nombreux champs céréaliers en Amérique du Nord qui pourraient occasionner des récoltes décevantes. Mais le facteur géopolitique primerait. Sur le marché Euronext, la tonne de blé frôle alors les 300 euros. Si les prix sont encore loin du record de 400 euros atteint en mars 2022 au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe (ils avaient ensuite reflué autour de 250 euros), cette nouvelle tendance haussière inquiète les acheteurs parmi lesquels les grands importateurs, notamment la Chine et les pays d’Afrique du Nord. Un point majeur retient l’attention des opérateurs : l’avenir du corridor céréalier en mer Noire.

(...)

« Sur le marché personne ne croit vraiment que ce corridor va disparaître », relève pour sa part M. Philippe Duriava, qui travaille chez Emeric, société de courtage en céréales et oléagineux basée à Toulouse. « Si, bien sûr, tout est possible dans ce contexte très tendu, on imagine mal la Russie sacrifier ses intérêts économiques, mais aussi géopolitiques, en provoquant une flambée des cours à cause de la fermeture du corridor. Beaucoup de pays que Moscou cherche à gagner à sa cause lui en voudraient. » Un autre professionnel français du secteur relève quant à lui que l’incertitude sur la pérennité de l’accord russo-ukrainien aggrave de manière insidieuse la crise de la faim : « Les pays riches stockent des céréales quand les autres sont obligés d’attendre d’improbables reflux du marché pour passer commande. »

Le blocage des engrais russes, outre son impact direct sur l’avenir du corridor en mer Noire, augmente le risque de pénurie de produits agricoles. Le PAM appelait à des « efforts concertés », en décembre dernier : « Nous ne pouvons pas permettre que cette question d’accessibilité aux engrais dans le monde se transforme en une pénurie alimentaire mondiale. Reconnecter les marchés des engrais est essentiel. » Avant même le conflit russo-ukrainien, le marché des fertilisants était à la hausse, mais la guerre a provoqué la flambée des cours qui, en moyenne, ont grimpé de 250 % par rapport à leur niveau en 2019. Or 50 % de la population de la planète dépend de ces produits et la Russie demeure le premier exportateur mondial d’engrais azotés, le deuxième pour les engrais potassiques et phosphorés. La fermeture du corridor de la mer Noire et le maintien du blocage des cargaisons russes de fertilisants auraient des conséquences désastreuses sur la sécurité alimentaire mondiale.

Akram Belkaïd

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Brest Brest Brest. — « History & Chips », 2014
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