Russie : les manifestants antiguerre arrêtés par milliers (15/04/2022)

Depuis le 24 février 2022, de nombreux Russes descendent dans la rue pour dénoncer l’invasion de l’Ukraine. L’opposition à la guerre est réelle mais les autorités veulent l’effacer. Les arrestations de manifestants se comptent par milliers. Un arsenal législatif renforcé les rend possibles. Explications.

Plus de 15 400 manifestants pacifiques ont été arrêtés en Russie depuis le début de la guerre en Ukraine (chiffre fourni par l’ONG russe OVD-info au 7 avril). Les arrestations sont massives, immédiates, presque surréalistes : pour la seule journée du 6 mars, 5 000 personnes ont été arrêtées dans 69 villes russes.

« NON À LA GUERRE ! » : AUSSITÔT DIT, AUSSITÔT ARRÊTÉ  

 « Non à la guerre ! ». Voici l’un des slogans scandés par les manifestants de la place Rouge à Moscou, des places centrales de Saint Pétersbourg et de dizaines d’autres villes partout en Russie. À cette opposition à la guerre, la police répond par une vague d’arrestations, arbitraires et souvent brutales. Même des enfants participants aux rassemblements ont été arrêtés, plus de 100 selon l’ONG OVD-info.

Les images des arrestations qui nous sont parvenues de Russie sont choquantes. Porter des ballons aux couleurs de l’Ukraine : arrestation. Ecrire « Non à la guerre » dans la neige : arrestation. Applaudir ou passer à côté d'une manifestation : arrestation. Détourner une pancarte en écrivant « Deux mots » (en référence au slogan « Nyet voyne », qui signifie « Non à la guerre») : arrestation. Tenir une pancarte blanche, sans aucun message de protestation : arrestation.

Les autorités ont lancé une véritable chasse aux sorcières en instrumentalisant le système judiciaire russe pour poursuivre les manifestants antiguerre.

UN ARSENAL DE LOIS RÉPRESSIVES 

La répression n’est pas chose nouvelle en Russie. Depuis plus de quinze ans, les autorités russes utilisent des lois de plus en plus restrictives pour réduire au silence toute dissidence. 

Avec la guerre en Ukraine, la répression s’est accélérée. Ces lois sont utilisées comme un outil de répression dans un contexte où les autorités russes entendent contrôler tout ce qui va être dit ou vu.

La loi qui sape le droit de manifester

C'est en 2004 que la Russie a commencé à déployer un arsenal législatif contre le droit de manifester avec la Loi fédérale sur les rassemblements. Depuis 2014, cet arsenal s’est durci. Une série d’amendements a vu le jour et leur application est de plus en plus restrictive.

Concrètement, qu'est-ce qui a changé depuis le déploiement de ces amendements ?

Les policiers utilisent des stratégies de plus en plus brutales pour faire taire les manifestants. 

Les tribunaux infligent des peines de plus en plus sévères 

Les rassemblements sont quasiment interdits partout en ville.  

Au niveau fédéral, les manifestations ne peuvent pas avoir lieu à proximité d’un tribunal, d’une prison, d’une résidence présidentielle ou de services d’urgence.  

Au niveau local, des manifestations ont été interdites à proximité d’établissements culturels, éducatifs, médicaux, de centres commerciaux, ou même de stations des transports publics.

Les rassemblements spontanés sont interdits partout. En notifiant les manifestations aux autorités, elles risquent fort d’être déplacées ou interdites 

Le montant des amendes a explosé, passant de 2 000 roubles (54 €) en 2012 à 300 000 roubles (3 409 €) en 2021. 

Signe direct de l’accélération de la répression depuis l'invasion de l'Ukraine : le vote express, le 4 mars 2022, d’une nouvelle loi réprimant les « fausses informations » sur les activités de l’armée russe en Ukraine. Avec cette loi, les personnes qui, selon les autorités russes, propagent de « fausses informations » encourent jusqu’à 15 ans de prison. Un nouvel article a également été ajouté au Code russe des infractions administratives pour sanctionner les « actions publiques visant à discréditer les forces armées russes ».

Les citoyens russes qui s’opposent à la guerre s’exposent à de graves risques. Lorsqu’ils descendent dans la rue pour exiger la fin de la guerre, leur message représente un tel contraste avec la propagande d’État qu’ils sont directement placés dans le collimateur des forces de sécurité. Ils s’exposent à de lourdes amendes, des détentions administratives, des poursuites pénales menant à des procès iniques expédiés en quelques minutes et à des condamnations arbitraires. Ils s’exposent aussi à des violences et actes de torture. Des vidéos que nos équipes ont pu authentifier montrent que des manifestants pacifiques ont été brutalement frappés par la police via des matraques, électrocutés avec des pistolets à décharge électrique puis frappés, traînés au sol et soumis à d’autres mauvais traitements. 

LE COURAGE DES MANIFESTANTS 

Les autorités russes veulent instiller la peur au sein de la population. En muselant l’expression de toute opinion antiguerre, le Kremlin, veut donner l’impression que la résistance n’existe pas. Mais elle existe. Le mouvement antiguerre en Russie se poursuit malgré l’adoption de restrictions draconiennes et malgré une violente réponse policière.

La résistance féministe antiguerre 

Les féministes russes jouent un rôle très actif dans le mouvement antiguerre. 

Au lendemain de l’invasion de l’Ukraine, un mouvement féministe s’est créé : le Feminist Anti-War Resistance (FAS). Ella Rossman, l'une des rares figures publiques du mouvement, a expliqué l’objectif de la création du groupe : « Dès le début de la guerre, nous nous sommes rapidement organisées et avons lancé un appel déclarant que la guerre est contraire à tous les objectifs du mouvement féministe ». 

L’une des actions de FAS a été de remplacer les étiquettes de prix de supermarchés par des slogans contre la guerre. Comme toutes les voix antiguerre, les militantes ont subi de dures représailles. Selon le groupe, elles seraient au moins 100 à avoir été détenues, arrêtées, fouillées ou menacées par les autorités.

Les stratégies répressives des autorités russes sont inquiétantes et inacceptables. Nous saluons le courage de milliers de manifestants russes qui, malgré les risques encourus, osent s’exprimer pour dire « Non à la guerre ». Nous sommes à leurs côtés et aux côtés de celles et ceux qui se battent au quotidien pour plus de liberté, pour la justice et pour la paix.

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Un homme tenant une pancarte  « Non à la guerre ! » se fait arrêter par des policiers dans les rues de Moscou, le 25 février 2022 / © Evgenia Novozhenina via Reuters 

21:48 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ukraine, guerre en ukraine, russie, amnesty international | |  Facebook | |  Imprimer |