Le paradoxe de l’accueil (27/02/2017)

Billet de Jean-François Dubost, responsable du programme Protection des populations pour La Chronique d'Amnesty International France

Tiraillée entre attachement aux principes de solidarité et défiance à l’égard des réfugiés, l’opinion a besoin decimade-1.jpg?fx=r_250_250 responsables politiques qui encouragent et valorisent les initiatives locales d’accueil.

À la question « Pensez-vous qu’il faille protéger les personnes qui fuient la guerre et les persécutions ? », une majorité stable de Français répond « oui ». À celle de savoir si l’on peut accueillir en France ces mêmes personnes, c’est le « non » qui l’emporte.

Ces tendances générales se dégagent de différents sondages conduits sur la question de l’accueil des réfugiés auprès d’échantillons représentatifs de la population française au cours de l’année écoulée. Ce « paradoxe de l’accueil » met en tension l’affirmation d’un attachement aux principes et valeurs de protection et une sorte de défiance ou de détachement quant à leur mise en application.

Cette situation a de quoi étonner sauf si l’on considère que la mise en œuvre de ces principes, auxquels est attachée une bonne partie de la population, relève de la responsabilité des femmes et hommes politiques, de leurs choix, de leur vision.

Partie de cache-cache

Retranchés derrière la crainte de l’opinion publique, supposée ou réelle, mesurée ou amplifiée, souvent sur la base de sondages, les politiques optent pour deux types de réactions. D’un côté, celles et ceux qui se contentent de parler de principes et de valeurs, pour les réaffirmer, ou au contraire les nuancer, voire les nier. De l’autre côté, celles et ceux qui, le plus souvent en exercice, se lancent dans une partie de « cache-cache » avec l’opinion publique. Et dans ce cas, plus on se rapproche des questions pratiques de l’accueil, moins l’action de l’État est rendue visible et lisible. Les principes sont énoncés, rappelés, convoqués. Mais l’action se fait discrète, timide, proche de la clandestinité. Le suivi et les bilans sont presque inexistants. La valorisation et la célébration ne font pas partie de ce monde.

Quant à l’anticipation, elle reste aux abonnés absents alors même qu’elle pourrait être un gage de préparation et avoir une vertu pédagogique. Or, le « paradoxe de l’accueil » peut aussi se comprendre comme l’incompréhension – et donc la peur – de la façon dont on peut, dans notre contexte économique et social, accueillir et protéger des personnes fuyant la guerre et les persécutions. « J’affirme que je suis attaché à défendre le droit d’asile, mais je ne vois pas comment concrètement je pourrais le faire, dans mon quartier ou dans ma ville ». La question de la fidélité à nos valeurs se pose là. Nul doute que la primauté donnée à une approche restrictive, méfiante, associée à des polémiques politiques, pèse sur l’appréhension que l’on peut avoir des solutions d’accueil, de leur pertinence ou de leurs imperfections.

camp-syrien.jpg

Le sillon de l’incompréhension

Qui a compris ou comprend le fonctionnement des Centres d’accueil et d’orientation (CAO) créés en 2015 mais démultipliés en 2016 à l’occasion de l’évacuation du camp de Calais ? Qui a saisi l’intérêt du plan migrant publié en 2016 par Bernard Cazeneuve et les raisons de l’ouverture d’un centre d’accueil à Paris ? Qui a compris les engagements, pris au niveau européen, d’accueillir des réfugiés en provenance d’Italie ou de Grèce ? Qui sait combien de personnes la France s’est engagée à accueillir sur son sol, et comment, pour leur donner la possibilité d’envisager un futur en sécurité ? Combien sont déjà installées dans l’hexagone ?

En ne disant rien, ou insuffisamment à l’avance, des modalités concrètes de l’accueil des réfugiés, des efforts à consentir mais aussi des « gains » de diverses natures à en escompter, les responsables politiques font perdurer ce paradoxe et l’amplifient.

En puisant dans cette perception de l’opinion publique les motivations de leurs choix politiques et de leurs déclarations, ils avancent masqués et creusent ainsi le sillon de critiques et d’incompréhensions futures qui seront à leur tour convoquées par ces mêmes responsables pour justifier de ne rien faire, de ne pas faire plus, de faire moins, ou pire, de ne pas pouvoir faire : « Vous comprenez l’opinion publique n’est pas favorable… ».

Pourtant combien de communes, de conseils municipaux, de citoyens, de collectifs, d’agents de l’État, de médias, d’associations, de clubs sportifs, d’enseignants et de voisins – dont nous faisons régulièrement le portrait dans La Chronique – auraient apprécié que leurs actions soient valorisées au nom des principes de droit et d’humanité ? Combien d’autres citoyens auraient été fiers de se l’entendre dire à défaut d’y avoir participé ? Combien de personnes pourraient comprendre que cet effort de solidarité est possible ?

Un besoin d’empathie politique

La réalité n’est pourtant pas désespérante. Nous suivons avec attention les échos de l’accueil des réfugiés dans les médias français, locaux et régionaux en particulier. Des récits de mobilisations, de rencontres, et d’engagements émergent autour de l’évacuation du camp de Calais, de l’arrivée de réfugiés de Syrie via la réinstallation, la relocalisation, l’ouverture de nouvelles places d’accueil pour demandeurs d’asile. Les échanges avec certains acteurs impliqués dans la recherche de lieux pour les réfugiés révèlent clairement que des citoyens, quelles que soient leurs opinions politiques, leurs convictions et leurs croyances, se mobilisent ensemble pour offrir un hébergement à une famille, l’accompagner pendant les premiers temps, la côtoyer par la suite, rénover un logement, récupérer du mobilier, préparer les lits… Dire cela n’est pas offrir une vision édulcorée de la réalité mais remettre à leur juste place tous ces efforts niés, oubliés, négligés par les responsables politiques, qui sont autant de marques d’empathie. Dire cela, c’est proposer, inspirer, une proposition pour sortir du « paradoxe de l’accueil ». Dire cela, c’est aussi lancer un appel à tous ceux et celles qui sont en position de décider ou aspirent à le devenir en étant candidats aux élections : nous avons besoin de leur « empathie politique » vis-à-vis de cette France de l’accueil, qui ne se manifeste pas forcément sur les réseaux sociaux, mais propose une action concrète dans leurs villes et villages, avec conscience et humanité.

integration_de_refugies_politiques_syriens.png?itok=5u5DfG4N

Une famille de réfugiés syriens accueillie à Dieppe (photo FR3 Normandie)

En 2012, Bashar (32 ans) et Razan Keda (27 ans) avaient fuit le régime du président syrien Bachar-El-Assad. Ils s’étaient installés l’année suivante à Dieppe puis à Rouen, en 2013 avec leurs 2 enfants. 
Depuis, l’apprentissage de la langue française a été leur priorité pour mieux s’intégrer et trouver des formations et un emploi, mais aussi "pour mieux vivre avec les autres". 
Lui souhaite devenir technicien-réseau. Elle : pâtissière. Quant à leurs deux enfants : leur scolarité se passe très bien. 

20:56 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : réfugiés, accueil de migrants, amnesty international | |  Facebook | |  Imprimer |